mardi 18 mars 2008

Travaux de recherche

TITRE : Contribution à la qualification du statut des employés des sociétés militaires privées participant dans les conflits armés. I- PRESENTATION : « Ne viendrait-elle pas cette loi qui mettrait d’accord la conscience et le devoir ?[1] ». Nous pouvons nous approprier cette question si chère à Alfred de Vigny pour étudier l’impact de la loi du marché sur la gestion et la conduite des opérations militaires. Il apparaît chez Vigny une distinction entre servitude et grandeur pour un soldat, ses droits et devoirs. Cette distinction reflète celle relative aux civils et militaires, voire les combattants et les non combattants. Cette dernière intègre le périmètre de notre étude sur la détermination du statut juridique des salariés des sociétés militaires privées opérant dans des zones de conflits armés. Les sociétés militaires privées diffèrent des sociétés privées de sécurité. Mais, nous pouvons les rapprocher en vertu de certains critères objectifs tirés de la nature de leur prestation ou la confusion susceptible de surgir dans l’exécution de leurs missions. Seul le critère militaire de la prestation fournie par ces entreprises nous intéresse. En effet, le secteur militaire fonctionne avec des capitaux relevant conjointement du privé et du public[2]. Cette collaboration se corrobore notamment dans les recherches : un avantage aussi bien civil que militaire. Par ailleurs, la défense et la sécurité de l’État sont assurées par divers acteurs de différents statuts qui ont des rôles bien définis dans un encadrement juridique strict. Ainsi, les civils et les militaires sont des maillons de cette chaine. Dans cette perspective, il apparaît une spécificité pour chaque partie de la chaine de sécurité et de défense nationales dans le droit interne. Il en est autant pour le droit international qui opère une distinction entre les combattants et les non combattants[3]. Cette distinction ne s’effectue pas seulement entre les militaires et les civils mais aussi au sein des militaires. Tous les militaires n’ont pas droit au statut de combattant. En revanche, la négation de qualité de combattant à certains militaires n’est que relative et elle n’influence pas leur droit de prisonnier de guerre au cas où ils se trouveraient sous l’autorité de l’ennemi. Ces militaires sont différents des personnes employées en dehors des forces armées et mandatées par leur employeur pour fournir des prestations auprès des armées en pleine compagne. Ces prestations vont de la logistique à la participation directe aux combats. Cette participation directe ou indirecte aux combats renvoie à une « hémorragie linguistique » pour qualifier ces salariés : mercenaires, nouveaux mercenaires[4], « contractors[5] », soldats à vendre, combattants irréguliers… Ainsi, ce sont souvent des mots à connotation plus politique que juridique. Aussi la première connotation préside-t-elle la seconde. II- CONTEXTE : La fin de la guerre froide a engendré une nouvelle politique de restructuration et d’ajustement des forces armées ainsi que de l’industrie d’armement au sein des États dits « puissances militaires ». Cette politique s’est fondée sur la réduction des effectifs militaires, voire la suppression du service national d’une part et l’absence d’enjeux pour soutenir un conflit armé depuis la disparition des blocs d’autre part. Le processus de la mondialisation rapproche davantage les populations de par le monde. Rien ne semble passer inaperçu quelque soit l’endroit de l’événement à l’instar de milliers d’internautes qui suivirent en direct l’effondrement des tours du Trade center à New York le 11 septembre 2001. La fondation progressive des sociétés civiles viennent sur la scène internationale avec le souci d’ériger une opinion internationale indépendante des politiques étatiques. Or, les États ont trouvé d’autres alternatives pour détourner ce contre poids et échapper au contrôle politique de leurs moyens de gestion de certaines affaires internationales en l’occurrence la gestion des conflits armés. Ils emploient des soldats libres ou bien « soldats à vendre » selon l’expression de Julien MATHONNIERE[6]. Ce moyen est plus efficace et peu coûteux, plus rapide que l’envoi des forces armées à l’instar de la lenteur constatée dans le déploiement des forces de maintien ou de rétablissement de la paix[7]. Il n’en demeure pas moins que ces salariés évoluent dans un vide juridique en droit international qui les ignorent. Suite à l’abattement au Pérou d’un avion civil des missionnaires américains en 2001 par un aéronef de la CIA, on découvrit que celui-ci fut exploité par une société sous contrat[8] : Aviation Development Corp. De même, plusieurs personnes ne réalisèrent pas que les trois Américains tués en automne 2003 à Gaza eussent été employés par Dyncorp. Il fallait que les images des Américains en armes immolés par la foule à Falloujah le 31 mars 2004 fissent le tour du monde pour entendre que ceux-là ne furent pas des soldats américains mais des employés d’une société militaire privée, date de clarté sur l’emploi des sociétés militaires privées dans les théâtres d’opérations militaires. Mais cet emploi remonte en réalité beaucoup plus loin et peut être rattaché à 1795, année de ravitaillement de l’armée de Bonaparte par l’entreprise Lanchère. Il est vrai que ce phénomène arrive avec acuité sur la scène internationale par le biais de la politique de « outsourcing » des États-Unis[9]. L’emploi des personnes externes aux forces armées des États n’est donc pas nouveau. Le droit international humanitaire ou droit des conflits armés a pour destinataire les combattants, les ambassadeurs d’un État belligérant. En effet, la 3e Convention de Genève du 12 août 1949[10] ne concerne que les combattants faisant partie des forces armées. Ceux-ci, seuls, furent susceptibles de bénéficier le statut de prisonnier de guerre bien que le Protocole I[11] élargisse cette possibilité aux guérilleros et mercenaires selon la volonté de l’autorité adverse, ennemie. III- OBJECTIFS POURSUIVIS Le droit international humanitaire est fondé sur la distinction des combattants et des non combattants. Cela a pour conséquence la protection des victimes de guerre et surtout l’épargne des souffrances des conflits armés aux populations civiles. La distinction des combattants de la population civile est mise en exergue chaque fois qu’ils prennent part à une attaque ou à une opération militaire préparatoire d’une attaque. S’ils ne peuvent se distinguer de cette population[12], ils doivent porter ouvertement les armes pendant l’engagement militaire ainsi que pendant le temps qu’ils sont à la vue de l’adversaire[13]. Or cette confusion de genre opérée en 1977 pour les guérilleros a engendré une autre plus complexe : les employés des sociétés militaires privées. Ces derniers n’ont pas de statut en droit des conflits armés, ils sont ignorés par ce droit. Il apparaît alors un conflit d’intérêts entre les États disposant de ces sociétés et ceux qui n’en ont pas. Ce conflit se déferle sur un débat de légitimité de ces sociétés sur la scène internationale. Déjà, aucun État ne souhaiterait la dissolution de telles sociétés. Elles exercent leurs activités dans un secteur crucial[14] pour les États. Mais le paradoxe est si grand qu’aujourd’hui aucun instrument international n’interdit le mercenariat[15] et les salariés de ces entreprises peuvent jouir d’une immunité. A première vue, ces salariés sont des mercenaires. Une affirmation pareille est dépourvue de scientificité car ils ne sont pas dans des situations identiques au cours de déroulement des opérations militaires. Il faut donc examiner leur situation juridique en fonction des cas pour déterminer le no man’s land à ne pas franchir lors des conflits armés conformément au droit des conflits armés et aussi la responsabilité des différents acteurs : les salariés, les dirigeants des sociétés militaires privées, les sociétés elles-mêmes, les États de nationalité et ceux qui louent leurs services. D’où, il faut militer pour la régulation par le droit international des conflits armés d’une pratique dont le feu est déjà impossible à éteindre.
Note: [1] VIGNY (DE) A., Servitude et grandeur militaire, Paris, Le livre du libraire, 1957, p 13. [2] LE BLANC G., « Dépenses militaires, restructuration de l’industrie de l’armement et privatisation de la dépense : analyse comparée France- Etats-Unis 1994- 1999 », Arès n° 46, vol. XVIII-3, décembre 2000, p 42. [3] BUIRETTE P., Le Droit international humanitaire, Paris, La Découverte, 1996, p 57. [4] Une appellation utilisée à tort ou à raison pour désigner la pratique de ces sociétés, v. GARCIA T., « Le développement du mercenariat et la privatisation de la sécurité », Arès n° 56, vol. XXII- 1, décembre 2005, pp 75- 82 ; BANEGAS R., « Le nouveau business mercenaire », Critique internationale n° 1, 1998, pp 179- 194. [5] Ce substantif anglais s’emploie à des personnes sous contrat, dont des contractuels. [6] MATHONNIERE J., « Soldats à vendre : la guerre privatisée ? », Défense nationale, n° 7, juillet 2004, p 67. [7] Pour ce genre de mission, on peut citer la procédure de l’ONU pour déployer des casques bleus au Darfour ou le cas de l’Union européenne sur la frontière tchadienne ainsi que le système d’autorisation parlementaire consacré par plusieurs constitutions pour l’envoi des troupes en compagne. Voilà une des raisons qui justifie la présence des sociétés militaires privées sur la scène internationale ; v. aussi ROCHESTER C-M., A private alternative to a standing United Nations peacekeeping force, rapport de l’institut américain des opérations de paix, 2007, disponible sur www.peaceops.org (consulté le 30 décembre 2007). [8] Le Monde du 27 mai 2004, p 15. [9] Pour plus d’indications sur l’externisation au sein des forces armées, cf. Le rapport de CULLEN P. et WEINBERGER P-E., Reframing the defense outsourcing debate : merging government oversight with industry partnership, Washington D.C., Peace Operations Institute, 2007 et celui de ROCHESTER C-M., op. cit. ; Rapport d’information de la commission de la défense nationale et des forces armés du 12 février 2002, n° d’enregistrement à l’assemblée nationale 3595, rapporté par DASSEUX M., disponible sur www.assemblee-nationale.fr/11/rap-info/i3595.asp (consulté le 26 novembre 2007). [10] Convention sur le traitement des prisonniers de guerre. [11] Il s’agit du Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 08 juin 1977, articles 44- 3° et 4°, 45- 1° et 75 ; aussi les articles 4 et 5 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 relatif à la protection des victimes des conflits non internationaux du 08 juin 1977. [12] Ce cas concerne plus les combattants sans uniforme dans les conflits armés non internationaux en l’occurrence la guérilla ou les guerres civiles. [13] Article 44- 3° du Protocole additionnel I relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, op.cit. [14] L’Etat est l’unique personne morale qui dispose des moyens mani militari sur son territoire. En effet, il a les corps de sécurité et de défense pour assurer l’ordre public et si possible employer la force pour faire régner l’ordre public. Cette question primordiale explique les réticences pour beaucoup d’Etats d’admettre les sociétés militaires privées s’installer sur leur territoire bien qu’ils en louent les services. Or, ce secteur comme le témoigne la législation française sur les activités des sociétés de sécurité privées exige un contrôle accru de l’Etat : cf. loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité dont certaines dispositions ont été modifiées notamment par les lois n° 2007-297 du 05 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance ( articles 75 à 78) et n° 2003-239 du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure et aussi les arrêtés du 19 juillet 2007 relatifs à la reconnaissance aux militaires et fonctionnaires du ministère de défense de l’aptitude professionnelle à exercer des activités privées de surveillance, de gardiennage, de transport de fonds, de la protection physique des personnes et à exercer dans les agences de recherche privée (deux arrêtés publiés au JO du 08 août 2007, p 13279-13280. On peut citer également le rapport du Conseil fédéral suisse sur les entreprises de sécurité et les entreprises militaires privées du 02 décembre 2005 (consulté le 12 novembre 2007 sur www.ejpd.admin.ch) et le n° spécial de la revue internationale de Croix-Rouge, volume 88, septembre 2006 consacré aux sociétés militaires privées. [15] Il y a deux Conventions : l’une adoptée au sein de l’Assemblée générale de l’ONU le 4 décembre 1989 lutte contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction des mercenaires (son entrée en vigueur fin 2001 est à l’origine de la loi n° 2003- 340 du 14 avril 2003 relative à la répression de l’activité de mercenaire) et l’autre est une convention sur l’élimination du mercenariat en Afrique du 3 juillet 1977.

Aucun commentaire: