jeudi 26 novembre 2009

La situation des enseignants du supérieur et l’avenir du développement en Afrique

Takyiwaa Manuh*

 

Introduction

Al'opposé des scénarios catastrophes qui ont caractérisé les écrits sur l'enseignement supérieur (ES) en Afrique au cours des deux dernières décennies (cf. les nombreuses sources citées dans Ajayi, Goma, et Ampah Johnson 1996), la période actuelle peut être considérée comme une période d'espoir retrouvé et d'optimisme. Les nombreuses publications, conférences, réunions et initiatives sur «la relance de l'enseignement supérieur en Afrique», et dont la plupart sont organisées par les bailleurs de fonds, constituent un témoignage de la résistance et de la détermination des universitaires africains, et des tentatives de réformes, assez faibles, il est vrai, des institutions africaines qui ont refusé de se laisser entraîner dans le désespoir et un sentiment d'infériorité concernant les affaires africaines, qui sont surtout cultivés par la Banque mondiale.

En fait, ce qui est étonnant, c'est qu'en 2002 la Banque mondiale est revenue avec un programme pour l'éducation tertiaire en Afrique, et en fait maintenant une condition nécessaire pour le développement en Afrique (Banque mondiale 2002). Cependant, ce programme a fait l'objet de critiques pour son a-historicité et ses préjugés sélectifs, ainsi que sa tentative de reprocher aux Africains d'avoir, avec assiduité, appliqué les conseils de la Banque mondiale pendant plus de deux décennies1. Ce qui apparaît clairement à travers toutes ces activités, c'est la reconnaissance du fait qu'en Afrique comme dans les autres régions du monde, l'enseignement supérieur est nécessaire au développement du continent et beaucoup plus largement qu'on ne le présente, malgré le jeu de somme nulle qu'on a introduit entre l'éducation de base et l'enseignement supérieur au cours des deux dernières décennies2.

Il est vrai que dans beaucoup de pays, la nature de l'enseignement supérieur et son aptitude à résoudre les innombrables problèmes font l'objet de préoccupations constantes. Cependant, les faux choix que les États ont dû opérer entre l'éducation de base et l'enseignement supérieur sont de plus en plus reconnus comme appauvrissant pour les destinataires de ces deux formes d'enseignement ainsi que pour les populations et les États. En ces temps de mondialisation, caractérisés par ce qu'on a appelé les «sociétés du savoir», le consensus se fait de plus en plus sur l'importance fondamentale de la connaissance en tant qu'élément crucial du développement moderne et de la compétitivité nationale au niveau mondial.

Et les Institutions d'enseignement supérieur (IES) et les universités en particulier sont considérées comme des lieux propices à la production de savoir et dotent les populations de compétences dont elles ont besoin, ce qui suppose que l'accès à l'enseignement supérieur soit étendu à de larges secteurs de la population. Le résultat en est la «massification», situation en général non applicable à la majorité des pays africains où moins de 15 pour cent de la population a accès à l'enseignement secondaire, et où le pourcentage de la population accédant à l'enseignement supérieur est très bas, à peu près 3 pour cent. En fait, dans beaucoup de pays, les politiques mises en place au cours des deux dernières décennies dans le cadre des Programmes d'ajustement structurel, ainsi que la suppression des systèmes de bourses pour les étudiants a eu pour effet de restreindre l'accès à l'enseignement supérieur à des groupes socialement avantagés, malgré l'augmentation des inscriptions.

Une caractéristique notable de l'enseignement supérieur aujourd'hui, c'est que les institutions qui le dispensent deviennent de plus en plus diversifiées, bien que l'État reste le principal acteur dans pratiquement tous les pays africains. Dans la plupart des pays, il existe maintenant plusieurs universités privées à but lucratif ou non lucratif, dont quelques-unes détiennent des franchises d'institutions d'enseignement supérieur étrangères, de petits instituts offrant des Master in Business Administration (MBA) et autres qualifications, et les universités virtuelles. Comme l'ont fait remarquer Kassimir et Sall (2002), le principal postulat de beaucoup d'analystes et de bailleurs de fonds est que sans la libéralisation du secteur de l'enseignement supérieur dans son ensemble, en particulier la partie qui bénéficie encore de l'appui de l'État, l'enseignement supérieur ne sera pas à même de contribuer à la compétitivité nationale ou encore de contribuer au développement de l'économie nationale.

Il est inutile d'insister sur le fait que ces points de vue font partie intégrante de l'agenda néo-libéral, caractérisé par la prééminence de l'idéologie du marché et sa redéfinition du développement, du rôle de l'État, des marchés et du «bien public», qui domine la réflexion sur l'orientation de la politique et de l'action économiques, impliquant la privatisation de services essentiels tels que l'eau et la santé dans beaucoup de pays. L'ironie de la situation, c'est que dans le domaine de l'enseignement supérieur en particulier, les politiques qui sont mises en œuvre influent sur sa capacité à satisfaire la demande croissante actuelle: par exemple l'espoir de voir les médecins diplômés, les informaticiens et autres spécialistes rester au pays et permettre ainsi d'élever le niveau de vie des populations ou augmenter la compétitivité nationale est souvent déçu, du fait des occasions qui sont offertes d'émigrer pour gagner des salaires plus élevés et jouir d'une meilleure qualité de vie dans l'économie mondialisée du savoir.

Ainsi, ni les universités, ni les États n'ont assez de contrôle sur les produits dans lesquels ils ont investi et ne bénéficient pas directement de cette formation, qui est absorbée par un monde globalisé en quête de «travailleurs globaux», ce qui réduit d'avantage la croissance du capital humain national et du savoir national, et par conséquent la capacité à compétir dans le soi-disant marché global. Kassimir et Sall (2002) insistent sur la nécessité d'un réexamen approfondi des nombreuses suppositions considérées comme acquises et jamais remises en question dans le débat sur l'impact de la mondialisation sur l'enseignement supérieur en Afrique et ailleurs, comme par exemple la vision des sociétés qui est sous-entendue dans le lien entre l'enseignement supérieur et la construction d'économies du savoir.

En outre, et c'est très important, ils posent la question de savoir jusqu'à quel point des concepts tels que celui d'«économie du savoir» caractérisent vraiment l'état de l'environnement économique mondial et aussi en quoi ce concept est pertinent dans l'état actuel des politiques économiques africaines et leur capacité à l'adopter, étant donné les sérieuses contraintes liées à l'infrastructure et à l'économie sur l'accès et la connexion aux NTIC (Kassimir et Sall 2002). C'est à partir de quelques-unes de ces questions que nous entreprenons l'étude de la situation de l'enseignement supérieur en Afrique et la situation des universitaires.

L'enseignement supérieur en Afrique

Comme on le sait, les institutions d'enseignement supérieur en Afrique ont été créées un peu avant et juste après l'indépendance. Ces institutions étaient conçues comme des éléments essentiels du projet de construction nationale et étaient promues avec un grand enthousiasme par les nouveaux États. On attendait des universités qu'elles redirigent leur mission pour se mettre au service des nouvelles nations et leurs besoins spécifiques de développement. À peu d'exceptions près, il devait y avoir une université nationale par pays, pour former le personnel et les ressources humaines nécessaires au fonctionnement de la bureaucratie et des services publics.

Dans une large mesure, et sans réexamen critique de leur caractère et de leur orientation, ces institutions ont joué le rôle qui leur était dévolu en formant les cadres nécessaires au fonctionnement de la machine administrative héritée du pouvoir colonial, produisant ainsi ce que Mamdani (2002) appelle «des hommes et des femmes standardisés». Conformément à leur statut d'institutions publiques, le sort des universités et autres institutions d'enseignement supérieur a été étroitement lié à celui des États, ce qui a aussi déterminé le type et le niveau de financement disponible, ainsi que le niveau d'autonomie institutionnelle et de liberté académique.

Cependant, l'écroulement de nombreuses économies nationales à partir du début des années 1970 et la déstabilisation des structures sociales qui en a résulté a débouché sur la crise prolongée de plusieurs institutions, y compris celles de l'enseignement supérieur. Les budgets de l'enseignement supérieur ont stagné et ont connu une chute vertigineuse avec des impacts dévastateurs sur tous les aspects de la vie et du travail universitaires, beaucoup d'institutions n'étant plus que l'ombre d'elles-mêmes. À partir des années 1980, à la suite de l'adoption des Programmes d'ajustement structurel, la situation des institutions a empiré lorsque l'ES a perdu du terrain en faveur de l'éducation de base, sous la direction de la Banque mondiale.

Dans le même temps, les réformes du secteur éducatif entreprises dans le cadre des PAS imposaient des exigences particulières aux IES qui se voyaient maintenant obligées d'accroître les effectifs tout en subissant une réduction du personnel et des subventions, et l'État, en tant que créateur et garant de l'emploi se voyait obligé de réduire les emplois, beaucoup de diplômés ne pouvaient plus trouver d'emploi dans la fonction publique. En fin de compte, ces mesures ont eu un sérieux impact sur la qualité et le moral du personnel et des étudiants. Une chute dramatique des investissements a eu lieu au niveau de l'enseignement supérieur, même si on a assisté à un accroissement du nombre des institutions de 52 en 1960 à près de 300 en 2002, accompagné d'une importante hausse du nombre d'étudiants. Malgré cela, la demande au niveau de l'ES continue de dépasser l'offre, conduisant ainsi à l'apparition de nouveaux fournisseurs de services privés et d'institutions d'enseignement à distance.

On a remarqué que malgré la réduction de l'intérêt porté à l'enseignement supérieur en Afrique au cours des deux décennies, le caractère social et public des IES n'a jamais été remis en cause. Elles n'ont pas perdu leur pertinence par rapport aux sociétés où elles se trouvent malgré les privations et la stagnation à partir des années 1970 et 1980, et ont toujours répondu à l'appel pour servir d'espaces privilégiés pour les débats, les critiques et la mobilisation pour le changement politique (Kassimir et Sall 2002, Sall 2000). En effet, à des degrés divers, partout dans le continent, les IES et en particulier les grandes universités publiques ont activement participé aux luttes contre l'autoritarisme et le déclin de la vie nationale et sociale, et pour l'ouverture de l'espace démocratique. Au cours des années 1970, 1980 et 1990 un grand nombre de campus universitaires, au Nigeria, au Sénégal, au Ghana, dans l'ancien Zaïre et au Mali, parmi beaucoup d'autres, ont été la scène d'affrontements avec l'armée et la police, qui se sont parfois soldés par des morts.

Le calendrier universitaire a, à plusieurs reprises, été interrompu par des grèves dans divers secteurs de la communauté des IES et par la fermeture des établissements par les autorités. Ce qui est intéressant, c'est que la demande sociale pour l'ES n'a jamais baissé au cours de la période qui a connu un accroissement phénoménal des inscriptions d'étudiants et la création de nouvelles institutions publiques et privées, en réponse à la pression des parents et étudiants pour un accès plus large, même sous des régimes autoritaires, et des décisions politiques ont souvent été prises pour des raisons d'opportunisme politique. Rathgeber (2002) cite une récente étude au Kenya selon laquelle les taux de rendement pour l'enseignement primaire, plus particulièrement pour le secondaire sont considérablement plus bas aujourd'hui que dans le passé, et entre 1978 et 1995, les taux de rendement pour l'enseignement secondaire a baissé de plus de 66 pour cent du fait de la cherté de l'enseignement secondaire et aussi parce que les chances de trouver un emploi se sont amenuisées avec la détérioration de l'économie kenyane.

Cependant, ceci ne s'appliquait pas dans le cas de l'éducation tertiaire, où la preuve était faite que les taux de rendement privés pour l'université étaient élevés, ce qui semble avoir été en partie la raison de l'immense pression publique en faveur de l'expansion du système universitaire dans les années 1980. Elle a également fait remarquer qu'en général, les taux de rendement étaient plus élevés pour les femmes que pour les hommes à tous les niveaux. Comme on l'a noté ci-dessus, l'augmentation des effectifs s'est opérée dans le contexte des PAS et des sévères restrictions dans les opportunités d'emploi dans la fonction publique, qui a été le principal employeur des diplômés des universités dont la plupart est au chômage.

Une explication de ce paradoxe apparent a été fournie par Kassimir et Sall (2002.) qui soutiennent que la demande pour et l'accès à l'ES doivent se comprendre comme un «calcul social» dans le cadre duquel les espoirs mis sur l'ES figurent dans la (re)structuration sociale des sociétés africaines et les modèles généraux de stratification et de reproduction sociale, et pour les étudiants comme pour les parents, l'enseignement supérieur devient un des moyens d'accéder à une vie meilleure et plus sûre avec la reconnaissance de leur statut de diplômés, et une certaine vision de l'avenir du pays et de leur place dans cet avenir.

Ils font aussi remarquer qu'au niveau des institutions elles-mêmes, les universités recherchent les ressources qui assurent leur propre développement et leur propre reproduction et, dans certains cas, gardent l'espoir qu'elles ont un rôle plus important à jouer comme institutions publiques, alors qu'une grande partie de la population compte aussi sur elles pour fournir les opportunités et une vision sociale. Kassimir et Sall (2002) attirent l'attention sur ces dynamiques locales et nationales des systèmes africains d'ES qui s'interconnectent mais ne sont pas déterminés par le nouveau contexte global d'une plus grande attention qui est portée à l'enseignement supérieur.

La situation des universitaires

Comme l'a fait remarquer Sall (2000), les milieux universitaires et de recherche dans l'ES africain sont aussi les milieux socio-politiques, économiques et culturels, et les évolutions de chaque milieu affectent l'autre ; dans des pays tels que le Liberia, la Sierra Leone, la Somalie et le Rwanda, la guerre civile a entraîné la destruction de nombreuses infrastructures d'ES, l'abandon des campus et la fuite des étudiants. La communauté universitaire n'est pas homogène et connaît des divisions de genre, classe, idéologie, régionales, ethniques et raciales. Cette communauté comprend de jeunes universitaires, des étudiants, des femmes, des assistants, des maître-assistants, des professeurs, des administratifs et des universitaires membres de minorités ethniques, religieuses et autres.

Parmi ces différents groupes, la lutte pour la liberté d'étudier, d'enseigner, de faire de la recherche, etc. est une lutte menée aussi bien à l'intérieur de la communauté universitaire que contre des forces extérieures. Cette lutte s'est intensifiée à la suite du déclin massif des économies africaines et les réductions budgétaires des IES qui en ont résulté, surtout à la suite de l'introduction des PAS. S'il est vrai que la plupart de ces combats étaient menés dans le cadre de revendications matérielles, telles que les bourses, salaires, aides, et conditions de travail, ils étaient cependant souvent politisés et sortaient des limites de l'université.

Kassimir et Sall (2002) situent la lutte pour les libertés académiques dans un combat plus large pour l'extension des possibilités de débats critiques et rationnels sur les affaires publiques avec la participation de journalistes, musiciens, écrivains, chefs religieux et d'autres membres de l'intelligentsia, combat qui était étroitement lié aux conflits sur le respect des droits de l'homme et l'élargissement de l'espace démocratique. Cependant, comme le font remarquer Ajayi, Goma et Ampah (1996), ce ne furent pas tous les universitaires qui s'identifièrent aux aspirations démocratiques des masses africaines, et quelques-uns ont même aidé leurs gouvernements à martyriser leurs peuples et se sont devenus les avocats du changement non démocratique.

Un aspect important de luttes sur lequel on n'insiste pas souvent dans l'analyse de la situation des universitaires, est la lutte pour l'égalité des genres et les transformations institutionnelles. Un examen de l'environnement et des structures de l'enseignement supérieur montre qu'ils sont extrêmement sensibles à la question du genre, tout comme les États qui les abritent sont très autoritaires et à prédominance masculine. La question du genre structure aussi l'entrée et l'accès des femmes et est présente dans les programmes scolaires et universitaires (Makosana 2001). La sensibilité du processus de l'enseignement suprérieur et ses hypothèses de base à la question du genre conditionnent le comportement de l'encadrement et des étudiants et façonnent l'environnement universitaire général qui est largement hostile aux femmes ainsi que les opportunités qui s'offrent aux étudiantes et étudiants en matière de carrière.

Le genre constitue également un élément déterminant dans les relations sociales au sein de la communauté universitaire; cependant il a souvent été ignoré dans l'évaluation de la situation des universitaires. En Afrique, à peu d'exceptions près, les femmes sont minoritaires comme étudiantes, enseignantes, chercheuses, administratrices et personnel de soutien, ce qui constitue un reflet de la plus grande marginalisation des femmes et des filles à d'autres niveaux et formes d'enseignement et dans d'autres structures étatiques et de prises de décision. Cette situation a un effet sur les cultures institutionnelles qui sont patriarcales comme le montrent les relations enseignants/enseignantes avec les étudiants, les relations entre étudiantes et enseignants et les relations entre étudiants.

Tamale et Oloka-Onyango (2000) font remarquer que l'environnement universitaire est régi par des valeurs et des croyances patriarcales, que les enseignantes et les étudiantes sont en général considérées comme étant moins «compétentes» que leurs collègues hommes, et en outre, doivent travailler deux fois plus pour légitimer leur position et leur autorité. En outre, les femmes intellectuelles sont sujettes au harcèlement sexuel, sont exclues des réseaux d'«anciens élèves» et ne font presque jamais partie de la hiérarchie des doyens, directeurs, chefs de département et administrateurs. Ils rapportent que même dans un pays comme le Soudan qui a traditionnellement joui de libertés académiques assez rares sur le continent, l'avènement du régime d'Omar El Bashir a restreint ces droits et affecté l'expression des droits des femmes à une liberté académique sans harcèlement sexuel, ni intimidation. Il est interdit aux femmes universitaires de voyager sans être accompagnées d'un muhram (un homme, parent proche par les liens du sang) jouant le rôle de gardien (Africa Watch 1991-94).

On a forcé les étudiantes à porter le voile et beaucoup de femmes ont systématiquement été exclues de la fonction publique, et beaucoup de femmes membres des professions libérales ont été mises en détention par le gouvernement (WUS 1988:119). Le cas de Levina Mukasa, étudiante en première année à la Faculté des sciences de l'éducation à l'Université de Dar es Salaam qui s'est suicidée pour mettre fin à l'intolérable harcèlement sexuel dont elle a été victime constituera un réquisitoire permanent contre l'ES africain. Tamale et Oloka-Onyango condamnent les déclarations de Kampala et Dar-es-Salaam sur les libertés académiques qui contiennent des références au «harcèlement» mais ne donnent pas une description explicite du harcèlement basé sur le genre dans son origine et ses manifestations (2000).

Citant Freire, ils attirent l'attention sur le contexte autoritaire dans lequel a lieu la diffusion du savoir en Afrique, et la documentation bien fournie sur les abus sexuels par des professeurs, depuis les avances sexuelles, menaces d'échec aux examens, jusqu'au viol: le résultat en est que beaucoup de femmes considèrent maintenant le harcèlement sexuel comme «normal» (Tamale et Oloka-Onyango 2000). Rathgeber (sous presse) cite un récent rapport de la Banque mondiale sur l'enseignement supérieur dans les pays en développement qui n'aborde la question du genre qu'en cinq paragraphes sous le titre «Problèmes auxquels sont confrontés les femmes et les groupes défavorisés» (Groupe de travail sur l'enseignement supérieur et la société 2000:41).

Elle note que ce traitement n'est pas atypique de la façon de penser de la société en général sur les questions du genre et de l'enseignement supérieur où les femmes sont considérées comme marginalisées ou «défavorisées», et où l'on pense que leurs problèmes peuvent être résolus en s'assurant qu'on leur offre plus de places à l'université. Poussant ces observations plus loin, Mama (2002) fustige le «jeu des nombres» selon lequel un quota est fixé pour permettre à un nombre limité de «femmes» et «autres minorités» ou «autres groupes défavorisés» d'avoir accès aux universités, qui restent des lieux profondément hostiles aux femmes.

Cette attitude permet d'éviter les problèmes plus sérieux de transformations intellectuelle et institutionnelle pour permettre aux institutions africaines d'enseignement supérieur de jouer un rôle crucial dans la multitude de mouvements africains pour la démocratisation et l'égalité des genres en termes politiques et idéologiques. Les outils pour changer ces cultures sexistes et patriarcales existent même à l'intérieur des IES, qui détiennent une base de connaissances immense et bien documentée sur ce sujet ainsi que le note Rathgeber (sous presse): au cours des années 1980 et 1990, des milliers d'études sur les questions de genre ont été menées par des universitaires africains. Mais ces études ont eu peu d'impact sur les cultures et pratiques institutionnelles des universités, pratiques vis-à-vis des étudiantes et sur les attitudes sociales changeantes; en fait, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, les IES africaines n'ont pas ouvert la voie et ont tacitement adopté quelques-unes des conceptions les plus conservatrices sur les rôles et capacités selon le genre.

Beaucoup d'IES africaines sont en retard sur d'autres institutions qui ont pris au sérieux la question du développement organisationnel et ont interrogé leurs cultures et pratiques institutionnelles: pratiques de gestion; relations de pouvoir; ressources et division du travail, et/ou adopté des politiques sur l'égalité des chances (Deem 1996). L'incapacité à prendre le développement organisationnel au sérieux pour aller vers les transformations institutionnelles a intensifié la crise à laquelle sont confrontées la majorité des IES africaines au cours des deux dernières décennies. Ajayi et al. (1996 et références citées) ont documenté d'une manière très détaillée la situation difficile à laquelle les institutions et les universitaires ont été confrontés à partir du milieu des années 1970. En gros, il s'agit principalement des ressources humaines, financières et physiques dont disposent les institutions et leur impact sur l'enseignement et l'apprentissage.

En particulier, à cause de la nature extravertie des IES qui a malheureusement conduit à la dépendance sur les fonds extérieurs pour importer l'essentiel des biens nécessaires au fonctionnement d'une IES, les fonctions académiques d'enseignement et de recherche ont stagné dans plusieurs pays, car il n'y avait pas d'argent pour payer le personnel expatrié, former le personnel local à l'étranger, payer les voyages du personnel à l'étranger lors des conférences, et acheter des manuels. En outre, on notait une stagnation et une détérioration des ressources matérielles avec l'arrêt du développement du capital, et le manque d'une culture de la maintenance, de mauvaises procédures d'approvisionnement qui ont conduit à la ruine des installations existantes. En plus d'une expansion non planifiée, la détérioration et le manque d'installations telles que des salles de cours, des laboratoires, des logements et de bonnes conditions de vie du personnel et des étudiants, des bureaux pour le personnel, de mobilier et fournitures de bureau et la réduction des systèmes de bourses des étudiants, tout ceci a sévèrement limité le renforcement des capacités de l'université.

Alors que l'isolement des universitaires était quelque peu atténué par l'existence de réseaux tels que le CODESRIA, l'OSSREA, l'AERC et l'AAPS, en particulier pour les spécialistes en sciences sociales et l'AAU, pour les Recteurs et Vice-chanceliers, dans l'ensemble, les universitaires étaient abandonnés à eux-mêmes et beaucoup ont trouvé des solutions à leurs frustrations et à leur pauvreté croissante: quelques- uns ont trouvé des emplois secondaires, ont fait des consultations ou ont simplement quitté l'institution. La plus grande menace dont les IES ont dû faire face a peut-être été leur incapacité à attirer et à retenir leur personnel au cours de la période de crise et la baisse du moral et de l'estime de soi qui s'en est suivi, avec pour résultat l'appauvrissement des milieux universitaires avec des effets palpables sur l'enseignement, la recherche et l'administration. Les effets sur l'administration universitaire de la perte de personnel cadre a également réduit les capacités d'innovation et de créativité, et accru la dépendance sur l'extérieure.

Dans plusieurs institutions, les résultats de la recherche et le volume des publications de recherche ont considérablement baissé, ce qui a affecté la qualité de l'enseignement et la confiance des étudiants et des enseignants. Selon Mamdani (2002), citant des sources de l'UNESCO, des 900 titres produits en 2001, seulement 1,5 pour cent étaient publiés en Afrique parmi lesquels 65 pour cent en Afrique du Sud et 25 pour cent en Afrique du Nord, ce qui est un reflet de l'absence de recherche, qui conduit au manque de pertinence de l'institution concernée avec de terribles conséquences sur le processus d'apprentissage; dans les pays de l'OCDE, les gouvernements financent près de 80 pour cent de la recherche. De même, les contributions d'universitaires et d'IES africains aux productions sur Internet sont négligeables à une époque de prolifération des bases de données et de réseau électroniques, et des technologies CD-ROM, amenant ainsi Ajayi et al. (1996) à qualifier les IES africaines de «désert communicationnel et technologique».

Mama (2002) reproche aux universités africaines d'avoir été incapables de tenir leur promesse antérieure bien qu'ayant bénéficié de l'apport des grandes potentialités qu'elles ont formées. La plupart des talents produits dans leurs facultés sont partis rejoindre les institutions du monde développé, plus affluentes et plus riches en ressources. Elle cite le chiffre de 100 000 universitaires africains dans les institutions du Nord, alors que le même nombre d'experts expatriés sont «importés» pour conseiller les gouvernements africains chaque année au coût annuel de 4 milliards de dollars en devises, et se demande quelle contribution cette somme énorme, si elle avait été plus judicieusement dépensée, pourrait apporter pour retenir ou faire revenir ces talents dont l'Afrique a désespérément besoin, et dont certains auraient pu donner des conseils beaucoup plus pertinents que ces experts expatriés.

Cependant, ces décisions n'ont pas seulement été prises par les autorités de l'ES, mais par des États qui suivent et appliquent les recommandations des puissants bailleurs de fonds, entraînant la stagnation et la relégation des IES. D'autre part, les autorités de l'ES ne sauraient être absoutes de toute responsabilité dans l'état actuel des choses. Ajayi et al. (1996) critiquent les universités pour leur manque d'engagement, l'absence d'informations suffisantes à la disposition du public afin qu'il soutienne l'ES et le présente comme une nécessité absolue dans le développement national et le progrès auquel il faut accorder la priorité.

L'IES et les perspectives du développement africain

Il y a actuellement des tentatives de réforme dans plusieurs IES pour réparer certaines erreurs commises ces deux dernières décennies et remettre les institutions en état de fonctionner. Cependant, comme l'ont noté Singh (2001) et d'autres, la plupart de ces réformes se fondent sur des principes étroit de rentabilité économique et n'intègrent pas suffisamment les objectifs sociaux plus larges de l'enseignement public. De même, Sawyerr (2002) attire l'attention sur le caractère des réformes et leur orientation et leurs capacités à faire face aux problèmes pressants auxquels sont confrontées les populations africaines. Comme il le fait remarquer, l'enseignement supérieur a un rôle crucial à jouer dans la croissance économique nationale et le développement, en apportant des améliorations dans la justice sociale par un accès équitable, la recherche du savoir plus tôt que des objectifs économiques, la diffusion d'une large gamme de connaissances et de compétences à toute la population et la formation de citoyens démocratiquement informés et à l'esprit critique développé, tout en réaffirmant l'importance de l'enseignement général.

Il faut donc construire un consensus autour du développement national et continental et des objectifs propres de l'ES et aussi pour que le financement de l'ES par le gouvernement soit prélevé de son budget principal. D'autre part, Sawyerr (2002) fait remarquer qu'on ne sait pas exactement jusqu'à quel point ces réformes s'intègrent dans une vision nationale commune des objectifs sociaux et de la place de l'éducation et de l'ES dans le processus de transformation nationale. Dans une large mesure, les réformes sont la plupart du temps orientées par les bailleurs de fonds et ne reflètent pas nécessairement un engagement déterminé de la part des gouvernements nationaux de reconstruire leurs systèmes d'enseignement supérieur. Le manque d'intérêt relatif du NEPAD pour l'enseignement supérieur souligne ce manque d'engagement et l'incapacité constante des dirigeants et des États africains à définir leurs priorités et accorder l'attention et les ressources nécessaires à l'enseignement supérieur.

Le rôle des universitaires et des IES dans la mobilisation de l'engagement en faveur de l'enseignement supérieur et l'amélioration subséquente des conditions dans lesquelles ils enseignent, font de la recherche et servent les communautés dans lesquelles ils sont, par leurs propres efforts vers les transformations institutionnelles, ce rôle donc, est essentiel pour la revendication de ce que Tade Akin Aina (2002) a appelé «des communautés intellectuelles continentales et des communautés de pratique et de professionnalisme», et réduire «la tension entre le renforcement de la créativité et le savoir et la pensée alternatifs oppositionnels». La capacité à conduire des transformations institutionnelles dépend de l'existence d'une certaine liberté académique, qui sera elle-même renforcée et garantie par la capacité des universités et autres IES à établir des liens avec des communautés plus larges au-delà du monde universitaire et à s'identifier avec leurs besoins et leurs aspirations.

 

* Auteur

 

Notes

1. Je fais ici particulièrement référence aux commentaires exprimés par les participants à la suite de la présentation par William Saint, Conseiller principal pour l'enseignement supérieur à la Banque mondiale, dans une publication de New York Bank sur l'Enseignement supérieur, à une réunion des Rencontres de partenariat sur l'enseignement supérieur organisée par les fondation Ford, Rockfeller, MacArthur et Carnegie à Accra, au Ghana, le 22 septembre 2002.

2. À la suite de la conférence des Recteurs financée par la Banque mondiale (Harare 1986), selon laquelle les pays africains n'ont pas besoin d'universités et qu'ils doivent fermer les universités, faire former du personnel à l'étranger ou le faire venir de l'étranger, et se concentrer sur l'éducation de base. Dans ce scénario, l'enseignement primaire était opposé à l'ES, qui n'était pas considéré comme étant utile.

 

Références

Africa Watch., 1991, «Libertés académiques et violations des droits de l'homme en Afrique», Londres.

Aina, T.A., 2002, «Commentaires sur une conférence donnée par Mahmood Mamdani», Rencontre du partenariat pour l'enseignement supérieur, Abuja, Nigeria, 18 mars.

Ajayi, J.F. Ade, Goma L.K. H. et Johnson Ampah G., 1996, The African Experience with Higher Education, Accra, AAU, Londres, James Currey et Athens, Ohio University Press.

CODESRIA 1996, État des libertés académiques en Afrique 1995, Dakar, CODESRIA.

Deem, R., 1996, «The Gendering of Educational Organizations» in T. Cosslett et al. (eds.) Women, Power, and Resistance: An Introduction to Women's Studies, Open University Press, Buckingham.

Diouf M. et Mamadani M., (eds), 1994, Liberté académique en Afrique, Dakar, CODESRIA. Kassimir, R. et E. Sall, 2002, «The Public Roles of the University in Africa» – Document de base pour le projet de recherche SSRC/AAU sur «Le rôle public des universités africaines».

Makosana, N.Z., 2001, Accessing Higher Education in Apartheid South Africa: A Gender Perspective,

Jenda: A Journal of Culture and African Women's Studies: 1,1.

Mamadani Mahmood, 2002, «African Univer- sities in their Local and Global Contexts». Communication faite lors de la Rencontre du partenariat pour l'enseignement supérieur, Abuja, Nigeria, 18 mars (non publié).

Rathgeber, E., 2002, (sous presse), «Women in Universities and University-educated Women: The Current Situation in Africa», in Teferra, D. et Altbach, P. (eds.) African Higher Education: An International

Reference Handbook, Bloomington, Indiana, Indiana University Press.

Sall E. (ed.), 2000, Women in Academia: Gender and Academic Freedom in Africa, Dakar, CODESRIA.

Singh, M., 2001, «Re-Inserting the 'Public Good' into Higher Education Transformation» Kagisano, CHE Higher Education Discussion Series, 1: 7-22.

Tamale S., et J. Oloka-Onyango, 2000, «Bitches at the Academy: Gender and Academic Freedom in Africa», in Sall E (ed) Women in Academia: Gender and Academic Freedom in Africa, Dakar, CODESRIA, pp1-23.

Banque mondiale, 1993, Le développement des ressources humaines en Afrique subsaharienne, département évaluation des opérations, Résumé n°54.

Banque mondiale, 2002, Construction de sociétés du savoir: nouveaux défis pour l'éducation tertiaire, Rapport de la Banque mondiale, Groupe éducation, Réseau développement humain.

World University Service (WUS), 1988, Academic Freedom: Ahuman Rights Report 2, Zed Londres, Books.

 

 

Source: Bulletin du CODESRIA, 2002, nos. 3 & 4, p. 44- 51.

dimanche 22 novembre 2009

Travaux pluridisciplinaires du CECOJI

Séminaires Inter-pôles « Médicament »

Séminaires 1

15 mai 2009

Exposé des problématiques - PI et médicament / Droit de l'Homme et médicament

 

Première séance de travail commune du laboratoire comme l'a rappelé Marie-Eugénie Laporte-Legeais, ce séminaire réunissait 28 personnes autour du thème du médicament.

 

Sept interventions ont ponctué cette matinée de travail aux débats riches dans lesquelles est apparue une très bonne homogénéité entre les diverses interventions. Cet élément confirme la complémentarité des deux équipes du CECOJI sur cette thématique et constitue un point fort dans ce projet de recherche commun.

 

Sont rappelés ci-dessous quelques éléments de chacune des communications, pour mémoire, et dans le but d'ouvrir les réflexions sur les prochaines séances de travail.

 

1/ S. Touzé : Lé médicament, un élément de garantie des droits de l'homme au plan européen ?

S. Touzé relève que l'un des fondements de la CEDH repose sur la protection de la dignité de l'être humain, cet objectif a aussi motivé la création de l'OMS et la mise en place de programmes de protection de la santé publique. Ces constructions de la seconde moitié du XXème Siècle s'élaborent en réaction aux exactions nazies et à la suite du Code de Nuremberg de 1947 prohibant l'administration forcée de médicaments.

Le terme médicament apparaît tardivement dans la jurisprudence de la CEDH, en 1996, et ce de manière très indirecte. Il est ainsi possible de voir dans le médicament un premier aspect qui est que celui-ci est un élément de concrétisation d'un droit garanti. Toutefois, de manière plus actuelle, les activités conventionnelles du Conseil de l'Europe vont aller au-delà de cette approche et faire du médicament un objet à part entière des droits de l'homme.

I/ Médicament, élément de la concrétisation d'un droit

L'émergence du médicament dans la jurisprudence de la CEDH s'est faite à propos de la commercialisation illicite de médicaments, le condamné se plaignant devant la Cour que l'absence de définition claire en droit français du médicament constituait une violation de l'article 7 CEDH pour absence de prévisibilité de la loi pénale.

Dans la jurisprudence, depuis cette première approche, le médicament se présente dans deux cadres :

  • expulsion des étrangers sous traitement médicamenteux (évolution de la position de la Cour qui dans un premier temps condamne l'expulsion sur la personne expulsée n'a pas accès dans les mêmes conditions dans le pays de retour aux soins, et revirement le 27 mai 2008 par lequel la Cour ne fait plus de l'équivalence des conditions d'accès une source de condamnation, il faut simplement qu'il soit possible d'accéder à ceux-ci, par exemple que cela soit ou non gratuit).
  • droit d'accès aux médicaments et lutte contre les traitements inhumains et dégradants (obligation positive des Etats suivant l'article 1 CEDH, on constate une insertion du médicament comme un élément d'exercice d'une obligation étatique. Pb de l'administration des médicaments en milieu carcéral, surveillance de la prise du traitement, responsabilité de l'administration en cas de faute dans le suivi d'un traitement médicamenteux. Prise en considération des situations de vulnérabilité du détenu. Il serait possible d'identifier dans cette construction jurisprudentielle un droit d'accès aux soins, un droit d'accès aux traitements médicamenteux pour les personnes vulnérables.

 

II Médicament – objet des droits de l'homme

Analyse de la convention de 1964 sur la pharmacopée européenne. Emergence d'un droit d'accès à un médicament de qualité et interdiction de commercialisation d'un médicament de moindre qualité. Résolution du Comité des ministres du Conseil de l'Europe 2007 : le médicament de qualité est un enjeu qui entre dans son champ de considération. Toutefois, ici, la priorité n'est plus la dignité de l'être humain mais la protection du consommateur.

Il s'agit de protéger le consommateur de médicament, mais cette protection va bien au-delà du consommateur et bénéficie autant à l'industrie pharmaceutique et aux réseaux de distribution de médicaments. Par cette voie, la CEDH contribue à renforcer la protection des droits de propriété des industriels.

Dans l'extension de ce domaine, on constate aussi la prise en considération de la qualité des méthodes de commercialisation, de distribution des médicaments. La protection du circuit de distribution serait attachée au droit à un médicament de qualité. On retrouve la protection du consommateur, mais aussi un frein à l'émergence de nouveaux modes de distribution.

 

2/ A. Couillaud : La définition du médicament au regard du Code de la santé publique et du droit communautaire

M. Couillaud, en écho à l'intervention de M. Touzé qui rappelait l'arrêt Cantoni c. France sur la définition juridique du médicament adoptée par la législation française et la jurisprudence européenne, revient sur la difficulté de définir en droit et plus particulièrement sur cette difficulté dans le cadre du médicament. La définition est un fondement de la sécurité juridique et place le langage au centre de la science juridique.

La définition en droit interne est proposée à l'article L. 5111-1 du CSP, elle est le fruit d'une double influence synthétisée par une définition communautaire. Le CSP propose une définition du médicament indépendante de l'étude de la pharmacopée ou du monopole des pharmaciens. Il ressort de cette définition une approche stricte du médicament traduite par la dualité de définition.

Toutefois, les évolutions scientifiques actuelles conduisent à interroger à nouveau cette définition en raison de l'émergence, d'une part, de médicaments basés sur des produits du corps humain et, d'autre part, de la confusion croissante entre médicament et aliment.

 

I Dualité de la définition

La définition telle qu'elle est retenue par le CSP provient d'une directive communautaire du 2 fév. 1965, elle révèle une double approche du médicament, par sa présentation (produit présenté comme ayant des fonctions ou des propriétés thérapeutiques) et par sa fonction (produit dont les qualités médicales sont intrinsèques et objectives).

 

  • Médicament par présentation : définition légale de 1941 pour lutter contre le charlatanisme, elle résulte d'une construction jurisprudentielle antérieure, et vise toute substance administrée dans une intention thérapeutique. Est considérée comme un médicament toute substance présentée comme telle, prise en considération de la croyance, de l'apparence. Extension du domaine de la définition à des produits sans aucun effet réel, cela dans une démarche de protection de la santé publique. Il y a une interprétation large de la notion de présentation, au-delà de l'effet du produit, prenant en compte tout élément pouvant influencer le jugement. C'est une définition quasi-subjective du médicament.
  • Médicament par fonction : approche objective, vise les substances ayant un effet sur le métabolisme. Une définition extensive de cette notion est aussi retenue, il suffit que le médicament soit administré en vue d'obtenir un tel effet, même si l'effet escompté ne se réalise pas. On peut s'interroger ici sur la qualification des placébos.

 

II Les frontières du médicament

Deux nouvelles frontières émergent dans la définition du médicament, celle des « alicaments » (problème des compléments alimentaires et des allégations santés des produits de consommation courante) et celle des médicaments fondés sur des thérapies innovantes (problème de respect du corps humain, de l'intégrité de l'être humain et de la brevetabilité des produits du corps humain).

 

  • Les allégations santé : le médicament traite une pathologie, il ne relève pas de la santé en général. Il faut reprendre une définition par la fonction du médicament pour parvenir à faire la part entre alimentaire et médicamenteux. Améliorer la santé ne relève pas du domaine du médicament. Le problème est plus prégnant si l'alicament a des effets sur l'organisme. Mais la CJCE, arrêt du 15 janv. 2009, rappelle que les effets ne suffisent pas pour engendrer une qualification de médicament, tout comme le critère du dosage, il faut privilégier une analyse qualitative à une analyse quantitative des effets.
  • Utilisation des produits du corps humain dans les médicaments : la Convention d'Oviedo 1997 aborde ce problème au travers des effets de ces thérapies sur la dignité humaine et l'intégrité du corps humain. L'objet de protection de la santé publique se mue en droit à la santé. Emerge un conflit entre le principe de précaution, l'avancé de la science et la définition de nouvelles thérapies.

Il serait nécessaire aussi de proposer des distinctions entre médicament/produit de santé/dispositif médical. Les frontières entre ces éléments sont difficiles à cerner, les liens pouvant être fort, notamment lorsqu'il y a une interaction majeure entre le principe actif et le dispositif médical permettant de l'administrer. Si une solution thérapeutique peut être qualifiée à la fois de médicament et de dispositif médical (concours de qualification), la qualification de médicament doit être retenue.

 

3/ C. Lageot : Le médicament, une composante du droit à la santé ?

Mme Lageot envisage le médicament sous l'angle des libertés fondamentales, rappelant les différentes composantes des libertés fondamentales (de 1ère et de 2ème génération), le droit à la santé se présentant essentiellement comme une utopie alors que le droit à la protection de la santé relève du bloc de constitutionnalité (4ème Rép.).

Le médicament est une composante du droit d'accès aux soins, un droit autonome du droit à la santé, qui contribue à l'effectivité du droit à la protection de la santé.

 

I Médicament : composante du droit à l'accès aux soins

Il s'agit d'une obligation imposée à la puissance publique de permettre au patient d'accéder à une thérapie : obligation de résultat à la charge de l'Etat. En cela, on peut distinguer cette obligation du droit à la protection de la santé qui fait peser sr l'Etat une obligation de moyen.

Le droit d'accès aux soins, consacré par l'article L. 1110-5 CSP suppose aussi un accès aux médicaments. Ce droit d'accès aux soins a un caractère général et universel, impératif, il impose au moins une obligation de résultat aux Etats.

Ce droit connaît une mise en œuvre affaiblie (cf. décision IVG du Conseil Constit). Le CE le met en balance avec la question du financement de la santé publique.

 

II De l'effectivité à l'efficience

Pb de la dimension économique de la mise en œuvre du droit : cela guide les pouvoirs publics dans leur politique de santé publique.

Effectivité est l'esprit de la constitution de 1946, recours à des mesures de police administrative pour encadrer la protection de la santé publique (ex : liberté d'installation des officines, encadrement des professions de santé, loi relative à la consommation de tabac, obligation de vaccination...). Ces mesures de police administrative portent par leur nature même atteinte à d'autres libertés fondamentales. L'Etat opère une mise en balance de celles-ci.

Un droit à la santé effectif passe par un financement du système de santé, l'efficience du système est alors en cause. Pb de remboursement des médicaments, suppression de la liste des médicaments remboursés, diminution du remboursement, etc. Il y a une recherche de l'amélioration du rapport fin/moyens.

Cette approche engendre une tension entre la collectivité et l'individu : l'intérêt collectif d'un financement maîtrisé de la santé publique peut se trouver en opposition avec l'intérêt individuel à accéder à un système de santé sans limite. Cette question se trouve notamment dans l'appréciation du service médical rendu par un médicament, service médical qui conditionne le remboursement et le niveau de remboursement.

 

4/ L. Cattaruzza : Les conditions d'appropriation du médicament en droit des brevets

M. Cattaruzza présente le brevet comme un monopole temporaire d'exploitation pouvant constituer une entrave à la concurrence et à la liberté d'entreprendre. Ce serait un sacrifice de la communauté au profit d'un individu.

La présentation des conditions d'appropriation du médicament par le droit des brevets passe par la présentation de l'objet de l'appropriation avant d'envisager les conditions d'appropriation.

 

I L'objet d'appropriation

Il s'agit de s'avoir si pour la loi le médicament constitue une invention comme une autre. Une approche historique révèle les difficultés de cette interrogation. Les lois révolutionnaires retiennent une approche extension des créations appropriables et donc ne limitent en rien la délivrance de brevets pour des médicaments. Aucune obligation d'obtenir un brevet pour exploiter le médicament, se pose alors la question du secret.

Toutefois, dès cette période, l'Etat encadre les conditions d'exploitation de ces brevets, cela pour préserver l'ordre public.

Changement d'approche en 1810 avec l'instauration d'une procédure obligatoire de conventionnement des remèdes. Le médicament ne relève plus du droit commun des brevets.

1844, on écarte totalement le médicament du droit des brevets, il en est exclu, cela pour la protection de l'usager (contrôle de la toxicité). Mais émerge la question de la dynamique de la recherche, de l'efficacité du médicament et de la récompense pour l'inventeur. L'accès aux soins n'est pas pris en considération à cette époque.

1959, décret spécial modifiant le régime des brevets, mise en place d'un brevet spécial pour les médicaments, avec toujours un contrôle de l'exploitation de la propriété (// époque révolutionnaire) grâce à l'instauration de licences obligatoires.

1978, à la suite de la Convention de Munich, alignement du droit des brevets de médicament sur le droit commun des brevets, tout en conservant des éléments spécifiques : l'AMM et le certificat complémentaire de protection (allongement de la durée d'appropriation pour compenser la durée d'étude de la toxicité et de l'efficacité avant mise sur le marché).

Problème de la distinction entre invention et découverte. Cette dernière est l'identification d'un phénomène naturelle, elle est exclue du droit des brevets. Toutefois se pose la question du lien entre médicament et découverte lorsque le médicament est basé sur l'utilisation d'un phénomène naturel.

Exclusion du droit des brevets des méthodes médicales.

 

Quant à l'objet du brevet, se pose la question de la caractérisation de l'invention : distinction entre brevet de procédé (méthode de production ou de sélection du principe actif) et brevet de produit (principe actif). Il y a des liens pratiques forts entre les deux (voir aussi la discussion sur distinction entre médicament et dispositif médical, voir CJCE MIT du 4 juill. 2006).

Se pose aussi la question du support médicamenteux, le mode d'administration du médicament peut être breveté de façon indépendante du principe actif tout en ayant un lien nécessaire avec le premier.

 

II Conditions d'appropriation

Application du droit commun des brevets, l'invention doit être nouvelle, être le fruit d'une activité inventive et susceptible d'application industrielle. L'invention doit être décrite de façon suffisamment précise afin que l'homme de l'art puisse la reproduire : source de communication des connaissances, pas de secret sur l'invention.

Pb de la brevetabilité de la nouvelle application thérapeutique. Le droit français refusé ce type de brevet, jusqu'à un alignement de la position française en 2008 en raison des engagements internationaux de la France. La question de la description de l'application thérapeutique sera au centre de l'analyse de la description de ce type de brevet. A défaut d'une description suffisante, la propriété peut être annulée.

Spécificité du médicament : les conditions d'exploitation et non les conditions d'appropriation.

 

5/ M-F Valette : Le concept du droit d'accès au médicament – perspectives conventionnelles

Dans le cadre conventionnel, la question du médicament conduit à évoquer les rapports Nord/Sud, mais il faut préciser sans délai que la question du médicament peut être perçue comme secondaire lorsque les moyens primaires de la santé publique – l'eau potable et l'alimentation – ne sont pas assurés. A la suite de Mme Lageot qui a abordé la question du droit d'accès aux médicaments, il s'agit à présent, plus directement, d'envisager l'accès aux médicaments à la lumière de la notion de médicament essentiel. Cela se fera en deux temps, d'une part, au travers d'une approche historique et, d'autre part, en examinant les impacts de l'OMC.

 

I Approche historique

La notion de médicament essentiel vient d'une approche pratique de l'OMS en 1975. A la demande d'un certain nombre de pays, l'OMS établit et diffuse en 1977 une liste de médicaments essentiels, liste mise à jour périodiquement à partir de 1978. Sept critères sont utilisés pour sélectionner ces médicaments, notamment la prévalence de la maladie et le coût de la thérapie.

En 2001, est soulevée la question de l'inscription de la trithérapie sur cette liste : se pose la question du critère du coût de la thérapie. Il est proposé d'écarter cette contrainte, ce qui permet d'étendre la liste.

En tant que telle, la liste n'a pas de valeur normative, elle est toutefois utilisée par les ONG pour leur action de lobby et pour se procurer des médicaments.

Cette liste soulève une seconde question, celle de l'accès équitable aux médicaments essentiels et la sécurité des molécules. Cette problématique se trouve éventuellement remplacée par la recherche d'un accès aux médicaments à un coût raisonnable.

 

Le lien entre PI et médicaments est présent dans le droit conventionnel, on peut notamment citer un programme d'action de l'OMS pour 2008, le plan d'action de santé publique, médicament, innovation et propriété intellectuelle. Il s'agit notamment d'accroître la lutte contre la contrefaçon de médicaments, qui en soit pourrait devenir une pandémie. Les liens entre le consommateur et l'industrie se retrouvent, sous couvert de la protection de l'un, la politique publique bénéficie aussi largement à l'autre.

 

Dans l'accès aux médicaments, on peut soulever un autre problème : le droit au meilleur état de santé susceptible d'être atteint, mais cela n'appelle directement aucune évocation de la notion de médicament. Le médicament devient un outil de réalisation du droit à la vie en ce qu'il constitue une mesure pour lutter contre les épidémies.

Se pose aussi la question du droit de bénéficier du progrès scientifique. Le rapport entre médicament, propriété et coût trouve alors à nouveau le cœur des débats.

Le Pacte de 1966 intègre dans son article 12 le droit à la santé, ce qui justifie un contrôle de la commercialisation des médicaments.

Il serait possible de s'interroger sur les obligations des Etats de tenir compte du droit à la santé lors de la conclusion d'accords bilatéraux ou multilatéraux, notamment pour ce qui est des droits de douane applicables aux médicaments, les conditions de circulation des molécules... Il est possible à la lumière de ces éléments d'envisager le commerce international, notamment les accords de l'OMC dans une perspective positive pour l'accès aux médicaments. On en facilite la circulation, on en diminue le coût en maîtrisant la taxation étatique.

 

II OMC et ADPIC

Les accords ADPIC constituent un catalyseur de l'accès aux médicaments. Le volet PI des accords de l'OMC a permis de conduire une réflexion, faire émerger des contentieux et finalement améliorer les conditions de circulation des médicaments dans le monde, grâce à la Déclaration de Doha et à celle de Genève. C'est une voie de concrétisation de l'accès aux médicaments, qui permet de tendre vers l'efficience du système.

On relève toutefois que nombreux sont les Etats qui n'ont pas ratifié ces textes ce qui retarde leur entrée en vigueur, les Etats en cause étant plutôt des Etats sans industrie pharmaceutique performante (ratification par l'UE et les USA effectuée).

 

6/ M. Fadiga : Les conditions de validité de la marque sous l'angle du médicament

Après les brevets, Melle Fadiga propose de montrer que d'autres régimes de propriété intellectuelle permettent une appropriation du médicament, non plus en raison de sa fonction thérapeutique, mais suivant son nom, son apparence. Les marques commerciales sur les médicaments remplissent une fonction économique certaine, Melle Fadiga voit en elle un moyen d'amortir sur une longue période les frais de R&D.

La question principale est celle de la représentation graphique possible pour une marque de médicament.

Pour les marques verbales, il n'y a pas de spécificité pour les médicaments, mais il est nécessaire que le ou les mots choisis remplissent effectivement une fonction distinctive.

Pour les couleurs, même conclusion, étant entendu que les offices de PI sont réticents pour délivrer des marques pour des couleurs.

Pour les marques gustatives, après quelques tentatives et un succès devant une juridiction, la CJCE a clairement affirmé qu'il n'est pas possible de réaliser une représentation graphique d'une odeur ou d'un goût ce qui interdit tout enregistrement de la marque par dépôt. Il n'est pas possible d'obtenir un titre de propriété pour ces caractères distinctifs.

L'emballage suit le régime de droit commun, toutefois, la CA Versailles, dans l'affaire Bétadine, a relevé quelques spécificités pour les emballages de médicaments, retenant qu'il est possible pour un concurrent d'utiliser les mêmes codes couleurs que le produit principes puisque les professionnels des blocs opératoires associés aux couleurs en cause des fonctions thérapeutiques précises.

La marque tridimensionnelle s'inscrit dans la droite ligne du droit commun, mais il sera ici nécessaire de s'assurer que la forme n'est pas exclusivement fonctionnelle et qu'elle remplit effectivement une fonction distinctive du produit. Cf. p Roche.

Enfin, il faut prendre en considération les effets de l'usage sur le droit des marques. En effet, il est possible qu'un nom, une forme de médicament ait acquis une renommée par l'usage. Dès lors, le signe qui ne serait pas, a priori, appropriable par le droit des marques, pourra l'être si l'usage ou le consommateur voit dans les éléments en causes des moyens d'identification du produit et de garantie de provenance. Cette renommée acquise par l'usage peut avoir un impact fort sur la commercialisation des médicaments génériques.

 

7/ I. Andrialemirovason Randrianirina : L'épuisement du droit sur la marque de médicament

Cette communication fait une synthèse de nombreuses questions abordées durant la matinée de travail, notamment sur la question de la libre circulation des médicaments et le corollaire de celle-ci l'accès facilité aux médicaments, deux préoccupations contrebalancées par la question de la sécurité sanitaire, et de la lutte contre la contrefaçon.

Mme Randrianirina aborde l'impact du principe de l'objet spécifique du droit de marque et le principe d'épuisement du droit de marque en droit communautaire pour rechercher si ces éléments influence la circulation des médicaments. La question s'est posée à de nombreuses reprises devant la CJCE à propos du reconditionnement de médicament, reconditionnement allant du simple ajout d'une étiquette que l'emballage extérieur du produit à une modification du produit, par exemple de l'enrobage. Il y a une conciliation en droit communautaire entre les propriétés intellectuelles et l'objectif communautaire de libre circulation des biens.

Le reconditionnement est possible sous réserve de respecter 5 conditions cumulatives : le reconditionnement doit être nécessaire, imposé par la législation de l'Etat d'importation, il ne doit pas provoquer d'altération ou de risque d'altération du produit, ne doit pas être nocif et ne doit pas porter atteinte à la réputation de la marque couvrant les produits reconditionnés, notamment l'auteur du reconditionnement doit clairement indiquer de façon distincte sur l'emballage son nom et celui du fabricant. L'importation ne doit pas se faire en violation des règles d'un réseau de distribution exclusive et l'importateur doit avertir préalablement le titulaire de la marque de l'opération. La preuve du respect de ces conditions est à la charge de l'importateur.

La libre circulation sur l'ensemble du territoire de l'EEE est possible dès la première mise sur le marché du produit par le titulaire des droits de propriété intellectuelle. En revanche, il n'y a pas d'épuisement international des droits de propriété intellectuelle : cette piste pourrait être envisagée pour permettre la diversification de l'offre de médicaments.

 

 

 

Travaux du CECOJI/CNRS-Université de POITIERS

L’image de la privatisation de la sécurité

 

Les security contractors de Xe (ex-Blackwater) en poste en Irak.

Confusion entre civils et combattants : l’incorporation du langage courant dans la langue du droit

Le jus in bello se fonde sur la distinction entre les membres des forces armées et les personnes qui n'en font pas partie afin de garantir la protection de la population civile. Les conflits armés contemporains de ces quatre dernières décennies ont révélé les exactions commises par des groupes paramilitaires n'ayant pas le statut de combattant. La survie du principe de délégation des affaires militaires dans le temps a débouché sur la réglementation de ces groupes afin qu'ils aient droit au statut de combattant selon des modalités posées en 1907 et modifiées en 1977. Ces modalités issues de l'observation rationnelle de différents conflits de décolonisation de par le monde cristallisent implicitement la dissymétrie et l'asymétrie liées à l'art militaire .

Malgré le cadre conventionnel, la détermination de différentes personnes habilitées à combattre n'enduit pas les inquiétudes sur leur statut et elle appelle à une nouvelle lecture du droit positif à cause d'usage de plus en plus croissant du vocabulaire extérieur au droit. Si ce dernier connaît par exemple les volontaires, c'est à tort que la doctrine a généralisé ceux-ci dans les conflits armés comme une catégorie de combattants. Le volontaire dans le jus in bello paraît comme une forme larvée du mercenariat par l'absence de bénévolat chez des personnes qui prennent part aux hostilités d'une part et une option dissimulant l'ingérence d'autre part. Le volontaire procède de la nature du recrutement. Il y a dans ce sens, les recrues par contrainte et les recrues par libre consentement. Les deux catégories peuvent concerner tant les ressortissants de l'État belligérant que des États tiers mais pas ceux de l'adversaire dont l'enrôlement forcé est un crime de guerre.

Nous allons dans cette étude nous appuyer sur le statut de combattant en vue de déceler la différence entre le civil et le non combattant d'un côté, et les conséquences de la confusion de l'autre. La conduite des opérations militaires dans les nouveaux conflits armés se fait aujourd'hui au sein de la population. Cela renforce davantage le souci de déterminer les combattants y participant pour la protection des civils car l'engagement militaire contemporain à l'instar de l'intervention russe en Géorgie en août 2008 ou celle d'Israël dans la bande de Gaza entre décembre 2008 et janvier 2009 se déroule au sein de la population, un affrontement en présence des civils, contre des civils et pour défendre des civils : le combat en zone urbaine.

La transformation des civils en ennemi potentiel pour le commandement sur un théâtre militaire rejoint l'important dilemme du jus in bello qui admet de causer des maux et non des maux superflus. Lorsque le commandement déploie dans les activités de soutien des agents des sociétés privées à vocation militaire et de sécurité (SPMS) à coté des militaires (cette manière de conduite des opérations par l'association civil-militaire est devenue incontournable depuis 1990) pour un éventuel emploi de la force comme le cas du dernier conflit en Irak, la précaution est de mise afin de respecter les droits intangibles de la population civile : le déploiement et l'usage de la force étant deux actes distincts. Par conséquent, il apparaît judicieux au regard du droit d'identifier le combattant (I) qui fera l'objet d'une protection (II) dans ce contexte.

    I. Identification du combattant

Le combattant est l'une des personnes membres des forces armées d'un belligérant selon l'article 3 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. Il est protégé par le droit pour avoir participé au conflit. Il se distingue d'un combattant irrégulier qui est la personne ne remplissant pas les critères de combattant. La stipulation lacunaire de l'article 3 cité ci-dessus est complétée par l'article 43 du Protocole I de 1977 selon lequel « toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés () sont des combattants, c'est-à-dire ont le droit de participer directement aux hostilités ».

Le combattant se distingue du non combattant par une différence de degré. La participation directe aux hostilités est la règle pour le premier et l'exception pour le second bien qu'ils appartiennent tous les deux aux forces armées d'un belligérant. Le premier est le combattant de jure alors que le second l'est de facto. Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) dans l'Affaire Kordić admet que les membres d'une unité de défense territoriale soient des combattants pendant toute la durée du conflit qu' « ils soient au combat ou non, momentanément armés ou non ». Nous pouvons faire remarquer qu'il y a, selon Éric David, quatre situations en théorie relatives à la durée d'engagement : les combattants actifs à plein temps, les combattants actifs à mi-temps, les combattants non actifs et les auxiliaires de ces précédents.

En revanche selon le raisonnement du juge, cette pratique devrait disparaître. Il n'existe pas en effet de « quasi-combattant », ni de « combattant mi-civil mi-militaire ». Toute personne incorporée dans les forces armées devient un combattant pendant toute la durée des hostilités. Ces dernières s'étendent du déclenchement de l'attaque à la résolution du conflit notamment par la signature d'un armistice. Pour ce fait, le combattant reste l'objet des attaques adverses lors des conflits armés. Il est disponible à faire le coup de feu qu'il soit chez lui ou au combat dès lors qu'il n'a pas été mis en incapacité de combattre.

Le combattant est une personne qui a la capacité de participer au conflit armé. Il est dans un sens large toute personne remplissant l'un des caractères suivants : l'appartenance à une partie belligérante qu'il s'agisse d'un État ou d'un mouvement de résistance organisé ou d'un gouvernement non reconnu, l'autorisation de suivre les forces armées, et la participation dans la levée en masse dans un territoire. Seul l'État ou les mouvements de libération nationale aussi tout mouvement armé auquel l'État reconnaît la qualité de belligérant ont le pouvoir d'attribuer la qualité de combattant en leur qualité de belligérant. On constate aujourd'hui une tendance d'assimilation du non combattant à un civil due à l'incorporation du vocabulaire courant dans le discours juridique. Aussi y-a-t-il une nuance entre les différentes catégories concernées par le conflit : combattant, non combattant et civil. On arrive à les déterminer à partir des critères (A) dont l'application est mitigée (B).

    A. Critères de détermination

Le combattant est au préalable une personne membre d'une force armée ou une personne dont les activités armées sont conduites au nom d'un belligérant. Le personnel des forces armées peut occuper des emplois militaires ou civils. La nature de l'emploi occupé par un membre des forces armées affecte sa classification soit dans la section des membres combattants, soit dans celle des membres non combattants. Ces emplois peuvent être accessoires ou non pour une force armée. Le corps de santé de l'armée est l'unité la plus connue sous le vocable de non combattant.

Les membres des unités armées combattant au nom d'un belligérant devraient remplir quatre conditions supplémentaires pour être des combattants. Celles-ci furent prévues aux articles 4 (A), § 2 de la Convention III et 1er du Règlement de La Haye. Ils étaient des combattants discriminés par rapport aux membres des forces armées. Il leur était autorisé de participer aux hostilités tout en conditionnant l'opposabilité de leurs droits leur bénéfice du statut de prisonnier de guerre à des conditions assouplies aujourd'hui par le Protocole I.

Le DIH a formulé deux critères qui plaident positivement pour la détermination du statut de combattant au profit d'une personne ayant pris part aux hostilités. Ces critères sont inégalitaires et valent pour les conflits armés internationaux ou non internationaux bien qu'ils soient récusés davantage dans les conflits non internationaux. Ils concernent la formation de combat dont l'appartenance à un belligérant est reconnue et le respect individuel du droit des conflits armés par les membres de cette formation.

    a- Appartenance à une unité des forces armées. La détermination de la qualité de combattant a pour point de départ l'appartenance d'une personne à une unité armée et cette appartenance est une obligation collective ou individuelle de l'unité combattante. Dans la pratique, les États se réfèrent à l'appartenance pour déterminer la qualité de combattant d'une personne. Le juge au niveau national a eu l'occasion au lendemain de la Seconde Guerre mondiale de se prononcer en ce sens. Le fait d'appartenir aux forces armées est un élément suffisant pour déduire le caractère combattant d'un individu puisque le port d'armes contre un belligérant s'apprécie au moment « l'engagement d'un Français dans une armée étrangère combattant contre la France ou ses alliés sans qu'il soit besoin de spécifier qu'il a lui-même pris part à des engagements militaires ».

Toute unité armée et organisée est présumée comporter des combattants. Cette unité n'est toujours pas rattachée à un État. Elle relève soit des mouvements de résistance à une occupation ou celle menée dans des conflits armés pour la décolonisation, soit des personnes dites volontaires ou des personnes commises pour des prestations militaires. Cependant, l'émancipation des personnes longtemps considérées comme objet de droit à l'échelle de l'État en droit international change la donne de la règle traditionnelle d'appartenance. Le rattachement à l'État se situe, de ce fait, au niveau conceptuel et non opérationnel. Une telle unité même mal constituée combat pour la survie de l'État dont elle veut assurer la sûreté et la sécurité. Pendant la seconde guerre mondiale, il y eut beaucoup d'unités pareilles et même deux autorités pour un même territoire.

Sous l'article 6 de la Convention de Genève de 1864 consacré à l'inviolabilité des blessés et malades, il fut écrit que Les militaires blessés ou malades seront recueillis et soignés, à quelque nation qu'ils appartiennent. Selon cette rédaction, toute personne ayant pris part au conflit devra avoir un lien d'appartenance avec une communauté. Alors l'appartenance cristallise un rapport intersubjectif entre deux personnes : d'un côté le combattant, la personne physique, et un groupement, la personne morale, de l'autre. Ce qui revient à dire que la personne reconnue comme combattant doit être en relation de subordination avec une collectivité humaine, celle-ci peut ou ne pas être un État. Cette appartenance s'apprécie selon les règles évoquées par la jurisprudence internationale relatives aux personnes physique et morale (nationalité, incorporation et effectivité) et à l'admission de la responsabilité individuelle dans la participation dans une entreprise criminelle formulée par la CIJ et le TPIY.

Les personnes qui suivent les forces armées sans en faire directement parties ne sont pas des non combattants. Elles sont des personnes civiles car elles ne sont pas membres des forces armées. Elles bénéficient néanmoins non seulement d'un traitement de prisonnier de guerre réservé aux seuls membres des forces armées d'un belligérant selon la Convention III de Genève, mais également elles peuvent être tenues responsables des crimes commis par les forces armées en campagne s'il existe un lien de subordination au dépens des membres des forces armées dont il apparaît que ces personnes ont joué le rôle de commandant ou de donneur des ordres.

    b- Respect du droit humanitaire. Le droit humanitaire est destiné aux organes étatiques et non étatiques. Ceux-ci sont constitués par des personnes physiques qui répondent des violations graves de ce droit. Toute personne civile ou non ayant commis une violation grave du droit international humanitaire devrait en répondre devant une juridiction. Les personnes civiles sous contrat avec les forces armées américaines sont maintenant sous l'autorité de Military Extraterritorial Jurisdiction Act de 2000 (MEJA) pour des infractions graves commises à l'étranger. Il arrive que le contrôle en vue de garantir le respect du droit ne soit pas effectif. Ainsi, la Chambre des Représentant a adopté en octobre 2008 un élargissement d'U.S criminal jurisdiction aux SMP suite à l'usage abusif des armes par les employés d'ex-Blackwater en Irak.

La nature des parties au conflit n'affecte nullement celle des combattants dès lors qu'ils ont un règlement intérieur conforme au droit des conflits armés afin de posséder le statut légal. Ce règlement détermine le régime disciplinaire des combattants. Celui-ci constituera la base de la responsabilité du supérieur et de la compétence de la justice militaire. Il s'agit d'une justice exceptionnelle. La nature exceptionnelle du métier des armes justifie en effet l'institution des juridictions d'exception bien que les actions incriminées puissent relever du droit commun. Les combattants et les non combattants sont justiciables devant les tribunaux martiaux pour tout crime ou toute infraction présentant un lien avec l'exercice de leur activité au sein des forces armées.

Cette règle s'amenuisera à l'égard des civils accompagnant les forces armées qui sont à la cloison d'une incompétence pour la justice militaire et civile dans plusieurs cas. Les États ont du mal à traduire les employés des SPMS en activité sur le théâtre militaire devant leur juridiction à cause d'un déficit juridique. Par exemple, leur nationalité, la nature et le lieu d'infraction suffisent pour les exonérer de toutes poursuites devant l'État employeur de la SPMS si les employés concernées sont d'une autre nationalité que ledit État qui n'est pas l'État de territorialité des activités.

La portée du respect des normes régissant la conduite des hostilités est amoindrie à cause du peu d'estime que bénéficie ce second critère par rapport au premier. L'immunité accordée aux security contractors étrangers présents en Irak par l'Autorité provisoire de la coalition (APC) l'illustre. L'ancien régime du jus in bello prévoyait seulement une indemnité en cas de violation des lois et coutumes de la guerre. Le projet du Protocole I présenté par le CICR le corrobore. L'article 42 de ce projet consacré à la nouvelle catégorie des prisonniers de guerre contenait une atténuation de la clause du respect du droit des conflits en son paragraphe 2.

Le respect du droit des conflits est plus garanti par les entités étatiques que par toute autre entité. Il est difficile à une entité non étatique de faire respecter ce droit. C'est le cas de l'Union européenne qui, dans le cadre de l'opération Atalanta, responsabilise les États en vertu de leur législation à garantir le respect du droit auprès du personnel de l'EUNAVFOR (Forces navales sous le commandement de l'Union européenne).

Mais le lien étroit entre l'appartenance à un groupe, le respect de ses règles de conduite n'est que la matérialisation de celle-ci, reste toujours présent chaque fois qu'il faudrait déterminer le statut d'une personne pendant le déroulement des hostilités. La détermination du respect des règles de conduite des hostilités procède préalablement de la qualification du statut de la personne ayant participé aux hostilités dès lors que cette personne ne présente aucun signe distinctif. Un membre des forces armées qui est capturé par exemple par l'adversaire sans signe distinctif d'appartenance à son unité au cours des activités d'espionnage perd le droit de prisonnier de guerre alors qu'il aura droit à ce statut en portant son uniforme au cours de ces mêmes activités.

La Cour suprême argentine s'est fondée sur ce principe d'appartenance pour retenir les chefs d'accusation de violation du droit humanitaire dans le cadre de la qualification des faits commis par des fonctionnaires et des militaires durant la dictature de 1976 à 1983. Elle affirme que les membres de l'unité 9 sont coupables de mêmes crimes contre l'humanité que les membres des forces armées pour motif aussi bien de leur intégration dans le champ de compétence de l'autorité militaire du régiment n 7 de l'infanterie de la zone n° 1 que leurs prisons dites « tentes de la mort » répondent au plan criminel général érigé par les forces armées dans un but précis : « funcionar como una suerte de centro clandestino respecto de los detenidos políticos ».

En exigeant le respect du droit par une distinction ostensible entre les différents combattants en vue de protéger la population civile, une exception est admise pour des « civils-combattants », les personnes qui combattent en se diluant dans la population. Vue la réalité de nouveaux conflits, il serait difficile pour le droit humanitaire d'être applicable sans s'en tenir compte. Les guérilleros n'ont pas la puissance de feu d'un État et donc, ne pourront pas opter pour un affrontement direct qui suppose une localisation des unités de combat. Ils trouvent ainsi un avantage dans la population qui est à l'abri de toute attaque.

L'exigence de se démarquer des civils chaque fois que les combattants sans uniforme s'apprêtent à mener une attaque se réduit au port ostensible des armes. Le port d'armes est un élément distinctif d'un combattant. Les combattants ont en effet le droit de prendre directement part aux hostilités ; cette participation est due à la possession d'une arme ou d'autres moyens lui permettant de faire feu. Ces derniers sont un critère déducteur de l'agressivité d'un soldat. Cela se résume dans ce proverbe lingala : « Muntu soki a sibi mondoki ko tuna mbula na ye te ».

Cette exigence de respecter le droit tend à s'appliquer directement aux combattants et indirectement aux personnes en relation avec les combattants qui sont non seulement les gouvernants de l'État, mais toutes les personnes qui apportent leur soutien aux combattants à savoir les particuliers et les sociétés de secours. Elles doivent connaître leurs droits et devoirs pour l'intérêt de la population civile, des blessés, naufragés et malades des forces armées. La participation au conflit de ces personnes les discréditera devant l'autre belligérant. Les guérilleros ou les security contractors doivent recevoir de leur responsable des instructions sur le respect des règles de droit dans la conduite des hostilités.

L'obligation de respecter le droit est une règle de droit international général issue du principe pacta sunt servanda. L'État devra de ce fait respecter ses engagements internationaux. Toutes les personnes ou les groupes sous le contrôle de l'État, l'État tiers ou belligérant et toute Haute Partie contractante au droit de Genève ou celles et ceux qui agissent pour son compte doivent recevoir des instructions pour respecter le droit des conflits. Toute Partie aux Conventions de Genève peut sur la compétence territoriale traîner devant ses juridictions des personnes ayant violé ce droit ou faire savoir par la voie diplomatique à un belligérant de se conformer au jus in bello.

Mais le non respect de cette exigence ne prive pas toute personne préalablement reconnue comme combattant de son droit lié au statut de combattant conformément aux stipulations de l'article 44, § 2 du Protocole I. Certes le droit de La Haye avait une exigence pour les corps de miliciens et de volontaires relative à leur démonstration de respecter les lois et coutumes de guerre en dépit de leur organisation sous la responsabilité d'un supérieur, la possession d'un signe distinctif reconnaissable à distance y compris leur port ostensible des armes est devenue la règle telle confirmée par l'article 44, § 3 du Protocole I.

Dans la pratique, les États refusent aux combattants le traitement de la Convention III de Genève au motif de non respect du jus in bello. Selon une pratique bien établie, ceux qui ne respectent pas le droit des conflits ne peuvent pas s'en prévaloir. Les réserves de certains États à l'article 85 de la Convention III de Genève témoignent la valeur qu'ils donnent au non respect des coutumes et lois de la guerre par un combattant qui tomberait au cours des hostilités sous leur autorité. D'autres États arrivent même à transposer les violations de ces coutumes et lois sur l'occupation ou le respect de la population civile conformément à la Convention IV afin de fonder leur refus au combattant de ses droits découlant de la Convention III en dépit de l'article 146 de la Convention IV de Genève. Aussi qu'en est-il de l'application de ces critères.

    B. Application des critères

L'appartenance aux forces armées est le critère exclusif d'identification d'un combattant comme en témoigne l'avancée des stipulations de l'article 43 du Protocole I par rapport à celles du Règlement de La Haye puisque les forces armées d'une partie à un conflit « se composent de toutes les forcesles groupes et les unité armés placés sous un commandement responsable de leur comportementmême si celle-ci [la partie au conflit armé] est représentée par un gouvernement ou une autorité non reconnue par une Partie adverse ». La composition de ces forces s'appuie souvent sur un lien d'appartenance dite « nationalité ». Est nationale toute personne ressortissante d'un État belligérant. Elle est directement et médiatement touchée par la conduite des hostilités des États belligérants. Elle est aussi celle qui en supporte principalement le coût en sa qualité de membre de la communauté en proie au conflit. Le droit de Genève n'aborde cependant cet aspect que pour le mercenaire, afin d'interdire l'enrôlement forcé des nationaux de la partie adverse et pour la levée en masse bien que la population d'un territoire ne soit pas exclusivement composée des nationaux.

Les combattants sont liés à l'État par leur nationalité ou par leur résidence. Les États acceptent dans la pratique plus le premier lien au détriment du second. Ce dernier pose davantage de difficulté du point de vue juridique. Le domicile d'un individu sera-t-il celui de son foyer fiscal, de sa résidence principale au cas où il aura une autre résidence secondaire ou celui de sa résidence effective ? Les solutions retenues sont orientées vers les intérêts réciproques des différents acteurs. Mais les États comme le Royaume-Uni et l'Espagne sont les rares États occidentaux à avoir privilégié le jus communis dans la mesure où les interdictions de recrutement ne concernent pas soit le Commonwealth pour le premier, soit les hispanophones pour le second.

    a- Combattant et ressortissant. L'identification du combattant au ressortissant est une pratique constatée dès la cristallisation au Moyen-âge des méfaits de l'emploi des étrangers dans les conflits armés. Le ressortissant est toute personne jouissant de la citoyenneté d'un État, il est pour ce fait le national de cet État. Seuls les nationaux ont au préalable le droit d'être membres des forces armées. Ce droit n'est que la conséquence de la citoyenneté de toute personne jouissant de ses droits civiques. La nationalité sert à déterminer que la personne qui en jouit à des droits et est tenue à des obligations que l'ordre interne accorde ou impose à tous les nationaux. Parmi les obligations imposées figure l'obligation militaire puisque l'État reconnaît la qualité de combattant pour ses nationaux combattants l'ennemi sans pour autant appartenir de lege aux forces armées. Celle-ci a revêtu plusieurs formes dans l'histoire de l'art militaire.

La guerre d'indépendance américaine marque au XVIIIe siècle une étape décisive dans la formulation de cette obligation avant qu'elle ne serve de politique de défense nationale en France : l'institution du soldat-citoyen par le Directoire. Lors que la guerre éclate dans les colonies anglaises, les yankees ont pris part aux hostilités pour remettre en cause leur appartenance à la Grande-Bretagne. Leur motivation demeure l'aspiration à fonder une nouvelle société assurant à ses membres la sûreté et la quête du bonheur dans le respect du droit naturel car toutefois qu' « une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement ».

Dès lors que ce soulèvement a pour finalité la soustraction des résidents des colonies à l'autorité de la Couronne, il n'y a pas une substitution de l'autorité mais création d'une autre autorité égale à celle de la Grande-Bretagne. Cette guerre a associé les militaires de profession, les anciens officiers britanniques dissidents et ceux des colonies, et les volontaires résidents des colonies qui se sont constitué en milice pour défendre leur rêve.

De même, beaucoup de ressortissants ont combattu contre leur État lors de la première guerre mondiale. Ils étaient animés par des mobiles nationaux, leur mépris d'appartenir à un État dont ils ne s'identifièrent point culturellement. La légion française de l'Orient comptait par exemple des Syriens et Arméniens qui ont combattu contre l'empire ottoman dont ils ont été sujets ainsi que les Serbes et Croates combattant contre l'Autriche-Hongrie. En revanche, la compétence personnelle de l'État exclut toute protection de ses ressortissants ayant tournés les armes contre lui. En cas de leur capture, elles seront des prisonniers de droit commun et les circonstances de la guerre plaident pour leur rétention criminelle. Ils subissent le traitement réservé au traite dans l'ordre interne. Tout citoyen enrôlé dans les forces armées adversaires à son État, à moins qu'il le fasse pour espionnage, sera puni avec une singularité particulière qui servira d'exemple à l'avenir pour tout citoyen.

La Conférence de La Haye en 1907 n'ignora pas la valeur d'une armée constituée de personnes membres d'une communauté politique, les ressortissants de l'État. Elle avait attribué la qualité de combattant à des personnes nationales d'un État qui se constituèrent en une levée en masse à l'approche de l'ennemi. Il est pour ce fait reconnu au belligérant l'obligation d'ouvrir ses frontières en vue de permettre la sortie des ressortissants de son adversaire et des États tiers dans le respect du droit international général selon l'article 35 de la Convention IV de Genève. Cela pour prévenir leur mauvais traitement par l'État ennemi ainsi que la possibilité de leur réquisition par l'État national pour combattre. En ayant adopté certes une Convention qui a admis l'incorporation dans une des armées belligérantes des ressortissants d'autres États sur le seul principe du respect de la liberté individuelle, cette Conférence n'a pas remis en cause cette attitude.

Cette liberté vaut aussi bien pour les ressortissants de son adversaire que pour l'État neutre. L'unique inquiétude se fonde sur le mobile et les conditions matérielles d'enrôlement des personnes non ressortissantes de l'État belligérant. Mais la protection des combattants d'un belligérant vis-à-vis de son adversaire n'est pas la même pour un ressortissant de ce dernier incorporé organiquement dans ses forces armées et celui ayant participé aux hostilités par passion au cas où les deux violeraient le jus in bello.

Par ailleurs, l'incrimination du mercenaire découle de la règle de la nationalité du combattant. L'article 47 du Protocole I le définit par son extranéité et son mobile d'engagement.

    b- Combattant et civil. Le civil est exclu de toute attaque. Cela est vrai dans la mesure où il ne peut pas faire un coup de feu. Il n'est pas l'ennemi et le droit lui reconnaît un droit d'assister les militaires en souffrance sans que cela ne constitue un crime. Il est étranger aux forces armées et de ce fait, il n'est pas un non combattant. Nous sommes ici dans un cadre similaire à une équipe nationale de football constituée des joueurs et dont les autres nationaux ne peuvent qu'être spectateurs sans pour autant s'exposer au danger du jeu. L'article 50 du Protocole I définit le civil par son non appartenance aux forces armées : est civil toute personne externe aux forces armées conformément aux articles 43 dudit Protocole et 4 (A), §§ 1, 2, 3 et 6 de la Convention III de Genève.

Dans ce même ordre d'idées, l'emploi des security contractors sur un théâtre aux fins de sécuriser les installations militaires notamment les dépôts d'armes ou leur utilisation pour le contrôle des systèmes d'armement les expose à des attaques de l'adversaire. La nécessité militaire justifie qu'ils soient des cibles. Ils sont donc différents des civils proprement dit. La nature de leur prestation seule suffira à les considérer pour une unité armée combattant au nom de l'État duquel ils exercent leur activité militaire et de sécurité. Certes, leur reconnaissance comme combattant ne soit pas encore reconnue à l'état actuel du droit par défaut d'une incorporation dans les forces armées.

Le statut de civil est une grille de graduation pour ce qui concerne la protection des individus lors des conflits armées. Les enfants, les vieillards, les personnes handicapées et les femmes surtout les femmes enceintes, celles qui allaitent ou ont des enfants à charge constituent la population civile dont la protection est totale et leur enrôlement dans les unités armées est un crime de guerre. Le statut de Rome en son article 8 apporte une lecture exhaustive sur le lien entre la protection et la vulnérabilité dans la constitution d'un crime de guerre. Leur état de vulnérabilité est protégé à l'instar de ceux des membres des forces armées devenus vulnérables suite à un accident du conflit armé.

Le non combattant est un membre des forces armées. Ce sont de ce fait les militaires affectés à des services de l'administration, de justice, d'instruction, de santé, et tout service analogue qui sont des non combattants. Pour illustration, la prière aux morts lors du 65e anniversaire du débarquement dans le cimetière américain fut prononcée par un aumônier, officier supérieur du Marine corps. C'est ce qui justifie que la participation directe du personnel religieux ou de santé aux hostilités n'est pas une violation du droit. Ce personnel est une ressource militaire que l'état-major pourra utiliser.

Au contraire, le personnel sanitaire et religieux externe aux forces armées ne pourra pas y participer sans être fulminé au regard aussi bien du DIH que des lois nationales des belligérants au motif qu'il n'a pas la qualité de participer au combat. La participation directe aux hostilités ne prive le premier cas de personnel religieux ou sanitaire que de sa protection découlant des Conventions de Genève. D'ailleurs, c'est dans la santé, la formation, l'approvisionnement, le transport et les renseignements que les SPMS reçoivent davantage les accréditations lors des conflits armés.

L'identification d'un combattant n'a plus pour conséquence l'application à son égard de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de Guerre puis qu'une personne peut bénéficier d'un traitement identique à celui réservé au combattant sans pour autant être combattant et un combattant peut se voir refuser le même traitement tels sont les cas par exemple des journalistes, les correspondants de guerre, et des militaires déguisés capturés en pleine activité d'espionnage.

Le droit de Genève tend à abolir la distinction entre combattant et civil pour les personnes entre les mains de l'ennemi. Le pouvoir d'appréciation revient donc à tout belligérant, en vertu de la clause Martens, dans le sort à réserver à des personnes en captivité ayant combattu pour son adversaire. La différence entre les mots et leur contenu dans la pratique est large comme c'est souvent le cas pour des instruments relatifs aux droits de l'Homme. Ainsi la protection du combattant tend davantage vers les normes d'intangibilité formulées dans le cadre général des droits de l'Homme.

    II. Protection du combattant

La protection du combattant concerne son traitement une fois qu'il se trouve sous l'autorité de l'ennemi. Elle a été élargie en ce qui concerne le droit de bénéficier du statut de prisonnier de guerre à des personnes qui ne sont pas des combattants, donc des civils. Cet élargissement constitue un écueil de l'application dudit statut. Certes l'article 45 du Protocole I exige l'intervention du juge afin de statuer chaque fois qu'il y aurait un doute sur le statut de la personne ayant pris part aux hostilités. A l'attente de la décision judiciaire, l'ennemi a l'obligation de la traiter par présomption comme prisonnier de guerre.

L'économie du DIH repose sur soulagement des souffrances humaines sans se préoccuper de la licéité de la participation aux hostilités ou celle du recours à la force. Il est évident que le traitement humain soit égal pour toutes les personnes qui ont pris part aux hostilités sous forme d'un minima humain à ne pas restreindre. Il est affirmé dans les stipulations des articles notamment 45 et 75 du Protocole I. Que la participation soit directe ou indirecte, toutes c'es personnes doivent humainement être traitées dès lors qu'elles sont tombées sous l'autorité de l'ennemi ou sont blessées, malades ou naufragées.

Le réalisme de ce système est compatible à l'idée de traiter comme prisonnier de guerre toutes les personnes participant aux hostilités sans prendre en compte leur statut au moment du déclenchement des hostilités, ni s'interroger sur leur participation directe ou indirecte. Le DIH, en laissant en marge la question de la licéité du recours à la force de son domaine d'action, s'articule sur une interpénétration entre civil et combattant incarnée par le guérillero dans les conflits armés contemporains.

En outre, l'admission du traitement de prisonnier de guerre a évolué depuis 1977 bien que les conflits armés contre le terrorisme infirment cette approche par la recrudescence avec acuité d'une coutume internationale sur l'absence de droit aux personnes hors la loi : les personnes qui ont violé le droit de la guerre ne peuvent s'en prévaloir. Dans ces conflits, les réfutateurs de l'évolution du combattant restent attacher aux quatre conditions matérielles requises pour bénéficier d'un tel traitement telles formulées à l'article 4 (A), § 2 de la Convention III de Genève car le non respect de celles-ci place le combattant en état d'un hors la loi. Les États non parties au Protocole I défendent cette position.

Les combattants sont protégés contre des traitements discriminatoires, dégradants, humiliants et inhumains. Ils ne peuvent faire l'objet d'une expérience médicale, ni les contraire à fournir des renseignements relatifs à leurs forces armées ou à intégrer les forces armées de l'État capteur ou occupant. Ils jouissent des droits et garanties juridictionnels en vertu notamment des articles 84 et 106 de la Convention III de Genève ainsi que 146 de la Convention IV. L'élargissement de la protection concerne les nouvelles catégories apparues dans les conflits datant de la guerre froide ou des conflits armés post-guerre froide (A). Malheureusement sa portée reste limitée (B).

    A. Détermination des personnes

Le statut de combattant couvre les membres des forces armées, le corps des milices et des volontaires, les membres des mouvements de résistance et sous condition, tout civil qui prend part aux hostilités. En effet, seul le combattant peut devenir prisonnier de guerre dans la mesure où pour prétendre bénéficier de ce statut, il faut d'abord être combattant. Le statut de prisonnier de guerre n'est qu'un accident de l'activité du combattant sur un théâtre. Il ne s'y trouve pas dans le but de se faire capturé mais dans celui de vaincre l'ennemi par la puissance du feu. En admettant cette faculté de combattre à des individus pour des raisons fortuites, il convient de leur reconnaître le droit de prisonnier de guerre lors de leur capture au cours des hostilités. Ainsi, l'attribution du droit des prisonniers de guerre reste indépendante de la qualité de combattant depuis son élargissement.

Le combattant est soit mobilisé, soit en état de l'être. Dans certain cas d'urgence, les civils peuvent devenir des combattants. Les États qui pratiquent la circonscription illustrent cette probabilité de transformation des civils en combattant improvisé à n'importe quel moment des hostilités. Une fois la décision prise, qu'elle relève des autorités compétentes ou personnellement de l'intéressé, le civil cesse d'être civil pour embrasser la vie militaire tout le long des hostilités puisqu'il ne sera pas bon citoyen le jour et soldat la nuit mais l'ambassadeur à temps plein du conflit armé. La tradition américaine prend tout citoyen américain pour un combattant potentiel quand le Congrès déclare une guerre et ses actes liés au conflit seront ainsi réprimés en cas de forfaiture devant un tribunal martial. Cela avait donc rendu difficile de poursuivre les citoyens américains salariés des SPMS utilisées par le DoD et le département d'État en Afghanistan et en Irak avant 2005. Il en ressort que l'élargissement est plus préoccupant pour le cas d'un civil par rapport aux autres cas.

    a- Cas d'un civil. La règle générale du DIH est très claire à propos des civils : ils jouissent d'une protection générale dans les conflits armés internationaux ou non internationaux. Ils sont à l'abri de toute attaque. Ils sont constitués de la population civile et des personnes civiles. Si la première catégorie couvre les personnes les plus vulnérables des conflits à l'instar des personnes handicapées, les femmes enceintes ou ayant des enfants à charge, les enfants et les personnes âgées de plus de 60 ans, il est admis de ce fait pour crime toute leur implication directe dans le conflit par les belligérants vue la protection générale dont ils bénéficient. Cette règle ne concerne pas les personnes non vulnérables de la seconde catégorie composée des hommes et femmes aptes à porter les armes. Leur participation aux hostilités est prévue par l'article 45 du Protocole I. Celui-ci protège toutes les personnes ayant pris part au combat sans tenir compte de leur statut.

L'existence du doute en cas de leur capture par l'adversaire, surtout que le doute ne peut exister que chez l'autorité de captivité, permet qu'elles jouissent d'une présomption de combattant jusqu'à ce que le doute soit levé par une autorité judiciaire. L'absence d'une telle formalité conduit le juge à admettre la violation du DIH. La Cour suprême américaine avait opté pour cette solution pour le refus de la qualité systématique de combattant aux personnes capturées par les forces armées américaines en Afghanistan. Mais, l'interrogation reste pour le cas de capture des agents des SPMS qui clameraient le statut de combattant. Les rares exemples de leur capture penchent sur une absence de statut de combattant pour les assimiler illégalement aux mercenaires. Les trois security contractors de California Microwave Systems, une SPMS américaine, capturés par les FARC, suite au crash de leur avion de reconnaissance, n'ont pas bénéficié d'un traitement conforme à la Convention III de Genève.

Les guérilleros sont des « civils-combattants » au regard de leur traitement. Il leur est admis des pratiques refusées aux combattants traditionnels datant de la Conférence de La Haye de 1899. Il y a une antinomie entre les pratiques prohibées aux combattants dans le cadre d'une guerre industrielle et celles admises dans le cadre des guerres de libération nationale ou de guérilla. En reconnaissant des situations dans lesquelles il est difficile pour le combattant de se distinguer des civils, le droit de Genève accepte notamment la perfidie pour les guerres autres que industrielles et l'interpénétration entre le combattant et le civil.

Il y paraît un tableau de normes en fonction de la stratégie mise en exergue par les belligérants. Le DIH se contente dans le respect des belligérants de leur mettre sous pied des normes concrètes et proches de la réalité afin que chaque belligérant soit à mesure de les respecter. Pour mettre les parties en situation égalitaire, il faudrait prendre ainsi en compte la nature même de certaines pratiques militaires. Admettre par exemple des exceptions à la règle générale de distinction entre civil et combattant.

Les conflits armés non internationaux opposent une fraction des forces armées équipée des systèmes d'armement modernes ou de la nouvelle technologie de nos jours d'une part et une unité armée mal équipée d'autre part. Cette dernière a toujours une composition hybride. Elle est opposée à l'autorité centrale de laquelle dépend la première fraction. Ces conflits se substituent au conflit couramment appelé par la « guerre civile ». Le droit positif les classe en deux catégories selon les articles 2 et 3 communs aux quatre Conventions de Genève et le sens des Protocoles I et II en en excluant les actes isolés, sporadiques ou analogues qui ne présentent pas le caractère d'un conflit armé.

Les combattants sont à majorité des personnes en provenance de la population civile. Les miliciens des dirigeants politiques au Congo pendant les conflits armés de 1993 et 1997 en témoignent. D'un coté, pour le conflit armé de 1993, la milice du gouvernement formée par des civils instruits par Lev'dan, une SPMS israélienne, utilisant l'équipement et l'uniforme des forces armées congolaises et les partisans de Bernard Kolélas mal équipés et composés des militants des partis de l'opposition sans uniforme, y compris les militaires fidèles aux leaders de l'opposition et la milice du général Dénis Sassou-Nguesso, d'un autre côté. Par la nature des parties au combat, les « Aubevillois » en uniforme et bien instruits selon les méthodes de guerre urbaine n'ont pas pu reconnaître leur adversaire dilué dans la population et à partir de laquelle il s'apprêtait à organiser son contre-offensive.

Au cours des hostilités, la milice gouvernementale, surprise par un feu d'origine incertaine à défaut de localisation de l'adversaire, s'est prise à des personnes de sexe masculin en violation du Protocole II, habitant le périmètre du théâtre en âge de porter les armes, supposées combattre pour le leader de l'opposition. Cela s'est reproduit en 1998 et 2002 quand l'appartenance ethnique suffisait pour toute personne de sexe masculin à être pris pour un combattant. Le sexe a été ainsi utilisé comme un critère de détermination de l'agressivité d'une personne présumée appartenir à l'ethnie hostile au Président de la République.

Mais l'absence d'une reconnaissance de belligérance dans les conflits non internationaux conduit à réprimer des individus ayant participé dans les hostilités qualifiées d'insurrection. Ces personnes commettent des actes de guerre sévèrement châtiés par le droit pénal. Cette absence influe sur la suite des événements ainsi que sur le refus de la qualité de combattant pour un civil ou un militaire dans ce genre de conflit. L'État refuse l'existence d'un conflit armé afin de qualifier la situation comme étant un acte terroriste.

La résolution politique de ce genre de conflit armé passe souvent par l'adoption d'une loi d'amnistie après les accords de cessation des hostilités. Il arrive que l'État procède à l'institution d'une justice transitionnelle comme moyen de pansement de ses plaies issues du conflit armé. Les conflits non internationaux sont des poudrières qui peuvent s'embrasser à tout moment si les objectifs du règlement de crise ne sont plus suivis. On assiste souvent à aucune poursuite pénale pour toute personne ayant pris par aux hostilités. Les personnes incarcérées en raison de leur activité liée aux hostilités sont libérées et il est impossible de croire qu'elles auraient pu bénéficier du statut de prisonnier de guerre, ni le faire valoir devant un tribunal.

Le cas d'un civil est incompatible au statut de prisonnier de guerre dans l'État. La compétence personnelle de l'État l'expose à une fulmination pour crime politique ou crime contre la sureté de l'État. En revanche, le civil est un héros lors qu'il prendra les armes pour défendre l'État de l'extérieur. Les conflits armés couverts par le Protocole I sont explicites à ce sujet. Le civil est un combattant dans les conflits internationaux. Il en ressort que la levée en masse est un ensemble des civils qui prend les armes à l'approche de l'ennemi, qu'il s'agisse d'une localité d'un territoire national occupé que l'armée d'occupation voudrait occuper ou de celui qu'elle voudrait reconquérir.

Un groupe pareil est la consécration parfaite de la reconnaissance à un civil de la faculté de participer à un conflit international. Les francs-tireurs français en 1871, les partisans pendant la seconde guerre mondiale, la population irakienne de Falloujah en 2004 et les Boers des républiques d'Orange et de Transvaal en 1899 et 1902 illustrent la participation au conflit des civils en masse contre une force armée. D'où, le civil bénéficie du statut de prisonnier de guerre dans les cas énumérés ci-dessus. Tout cela est différent des mercenaires.

    b- Cas d'un mercenaire. Les civils se distinguent des non combattants qui sont membres des forces armées. Ils sont également différents des membres des mouvements armés combattant au nom d'un belligérant : les partisans, guérilleros ou les MLN. Ces personnes sont soumises aux règles des Conventions de Genève et protégées par la 3e Convention. Elles sont des combattants et doivent être respectées comme tel. Mais la stipulation sur le mercenaire incorpore dans l'arsenal du droit des conflits une clause fictive dépourvue d'effectivité étant donné le traitement humain sans discrimination prôné par ce droit.

Le mercenaire paraît à première vue se catégoriser nulle part au regard du droit ; il ne semble ni civil, ni combattant conformément à l'article 47, § 2 du Protocole I. Il est de ce fait un criminel de guerre. Il est exclut de la probabilité de bénéficier de la faculté de combattant ainsi que de tous ses droits. Le refus du statut de combattant fait en réalité du mercenaire un civil. Ce dernier n'a pas le droit de participer aux hostilités au regard de la protection dont il bénéficie.

La définition du mercenaire donnée par le Protocole I est insuffisante car elle s'est construite autour des critères cumulatifs peu réalisables. L'approche institutionnelle conduit à le considérer comme une institution étrangère engagée dans la prestation des services armés contre une contrepartie en industrie, en numéraire ou en nature que celle-ci ait des implications directes ou non dans un conflit armé, un acte de violence ou dans le renversement de l'ordre constitutionnellement établi. Le refus de la qualité du combattant fait de lui un civil. Il semble donc être toute personne morale ou physique de nationalité étrangère recrutée dans le territoire national ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé dans le but de son intérêt personnel.

Au regard du droit positif, le mercenaire semble être toute personne morale ou physique de nationalité étrangère recrutée dans le territoire national ou à l'étranger pour soit combattre dans un conflit armé, soit participer à un acte de violence afin de renverser un régime politique dûment établi dans le but de son intérêt personnel. Il n'est pas incriminé par le DICA qui admet seulement la possibilité de lui refuser le statut de combattant ainsi que de tout droit en découlant. Son incrimination en droit international se confond avec le droit à l'autodétermination.

Le caractère abstrait du peuple conduit à des situations confuses dans lesquelles les mêmes États défendent une chose et son contraire. Les États africains parties à la Convention de l'ONU contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires du 4 décembre 1989 ne sont pas tous parties à celle concernant l'élimination du mercenariat en Afrique du 3 juillet 1977 ou vice-versa . L'écueil se situe au niveau de la définition du mercenaire pour les uns et la territorialité des obligations de celle-ci pour les autres.

Néanmoins, les États non africains ne sont pas étrangers à ces controverses. L'Assemblée nationale les présente d'une façon indicative entre le Protocole I et la Convention de l'ONU contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires lors de la présentation du projet de loi relative à la répression des activités mercenaires du 14 avril 2003. Madame le ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie, s'exprima lors des débats en ces termes : « tout État a le droit de se défendre et le devoir de protéger ses citoyens. S'il n'a pas les moyens militaires de le faire par lui-même, il doit avoir la possibilité de recruter à cet effet les personnes nécessaires pour conforter son assise. (…) il convient de sanctionner les excès du mercenariat en encadrant sa pratique ».

Il convient d'en relever les spécificités de la clause exceptionnelle sur le mercenariat apparue dans le droit de Genève et qui s'est développée ensuite à l'extérieur de ce droit. Aussi la reconnaissance du statut de prisonnier de guerre à toutes les forces participant à un conflit armé entraine-t-elle une analyse de sa portée.

    B. Portée de la protection

La protection des combattants fut élargie en 1977 aux guérilleros. La valeur de cet élargissement procède du lien étroit entre les faits et les normes qui les régissent. Le DIH est une branche du droit teinté de la réalité des faits et de ce fait, il reste à l'image du Code de la route la norme appliquée à toute personne ayant préalablement obtenu une licence de participation aux hostilités. De surcroît, le fait d'usurper la posture de la personne habilitée constitue en soi une infraction. Toute personne capable de conduire un véhicule serait un chauffeur. Elle est différente du conducteur qualifié. Ce dernier est donc celle qui aurait obtenu sa licence, le permis de conduire, comme en témoigne son emploi dans le Code de la route en l'occurrence les dispositions relatives au comportement du conducteur.

Les deux personnes représentent respectivement les catégories du DIH : les civils et les combattants. Tous les civils peuvent connaître l'art militaire sans pour autant être combattant. Ce dernier est le civil qui a la licence de prendre part au combat. Certes l'interpénétration entre ces deux catégories fait de sorte que le civil devienne un combattant circonstanciel. Dans cet ordre d'idées, la portée de l'élargissement pose fondamentalement la problématique du recadrage du droit des conflits dans le but de respecter les droits de l'Homme.

    a- Recadrage du droit humanitaire. Le recadrage du combattant consiste à dresser une ligne entre les fournisseurs et collaborateurs des forces armées dépourvus de la qualité de combattant mais jouissant du droit des prisonniers de guerre en cas de leur capture et la population civile qui ne participe en aucun cas dans l'effort direct de la guerre. Ainsi, vouloir réduire leur manœuvre à la participation indirecte aux hostilités est une idée fallacieuse vue les liens étroits entre la participation directe aux hostilités et la fourniture des moyens de guerre. Cette dernière étant davantage supérieure à la première par l'importance de ses attributions pour la suite des événements sur le théâtre. A témoin, le combat est alimenté par l'approvisionnement des combattants en munitions et l'assurance de la qualité du fonctionnement des équipements. L'absence des munitions et de la maintenance entraîneraient un déficit qui peut se traduire par une défaite ou la négociation d'un cessez-le-feu.

Le droit ne laisse pas en marge les fournisseurs ou les collaborateurs des forces armées. Les security contractors utilisés par les forces armées américaines et leurs alliés de la coalition en Irak et en Afghanistan ne peuvent pas tous être pris pour des mercenaires. Leur regroupement autour des SMP est une question d'organisation. L'effort de mise à jour en 1977 des Conventions de Genève en matière de traitement des prisonniers de guerre reste donc d'actualité. Toute personne en captivité ayant pris part aux hostilités a droit au statut de prisonnier de guerre après avoir été reconnue combattant.

Nous enregistrons aujourd'hui des voies pour clamer une détermination des activités inhérentes aux forces armées assumées ou gérées conjointement avec les entités non étatiques comme les SMP pendant les opérations militaires. La privatisation des activités longtemps prônées par l'État n'épargne plus aucun secteur. Elle affecte l'être de l'État soit par un délaissement total au secteur privé, soit par l'extinction des prérogatives exceptionnelles de ses activités pour devenir banales et exploitables par tout particulier selon les lois du marché et de la concurrence. Les activités de la défense sont confrontées à cette alternative.

L'administration américaine, après avoir souligné la nature cruciale des renseignements dans la conduite des opérations militaires, a dressé une liste des activités accessoires au combat dont l'externalisation ne causerait pas préjudice aux forces armées du moment que ces activités le sont déjà de fait. Il s'agit notamment de la logistique, l'instruction, le génie, la surveillance des installations ou dépôts d'armement, le transport et l'ingénierie. Par contre, la France voit dans l'externalisation de ces activités un moule à broyer des deniers publics à cause d'une exigence des prestations d'une qualité d'extrême technicité qui exclut la concurrence. Cela en raison d'un nombre restreint de sociétés aptes à fournir ces prestations pointues notamment le ravitaillement en vol et l'entretien des équipements sophistiqués.

Ainsi, le CICR et la Suisse ont lancé depuis 2005 une initiative pour une transparence des activités concédées aux SPMS selon un encadrement juridique concis et transparent dont le document de Montreux de septembre 2008 est son point culminant et peut-être le repère pour une instrumentalisation internationale à venir malgré les critiques du Groupe de travail sur l'utilisation de mercenaires comme moyen de violer des droits de l'Homme et le droit à l'autodétermination.

    b- Respect des droits de l'Homme. L'élargissement des droits reconnus au seul combattant porte ses effets dans le cadre des droits de l'Homme. La spécificité des conflits armés n'exclut pas la généralisation des instruments portant protection de l'individu dont les stipulations sont compatibles avec la réalité des opérations militaires. La clause Martens répond à cette exigence. L'articule 1er, § 2 du Protocole I l'affirme en ces termes : « Dans les cas non prévus par le présent Protocole ou par d'autres accords internationaux, les personnes civiles et les combattants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis, des principes de l'humanité et des exigences de la conscience publique ».

Dans cette perspective, la jurisprudence européenne se fonde sur la nécessité démocratique et une exigence technique tirée de l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEsDH) afin de promouvoir le respect des droits de l'Homme dans des situations de conflit armé. Le juge a condamné la politique britannique discriminant les homosexuels au sein des forces armées au regard des articles 8 et 14 de la CEsDH. Le juge américain fait application des droits constitutionnellement garantis pour admettre le recours devant les juridictions fédérales des décisions concernant les détenus de Guantánamo Bay.

Les combattants, les non combattants, les personnes civiles et la population civile sont couverts par un large éventail des normes internationales portant sur la protection des individus comme en illustre notamment les articles 75 du Protocole I, 27 et 30 à 32 de la Convention IV de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et le droit de rapatriement des étrangers vivant dans un État belligérant prévu à l'article 35 de la même Convention. La protection de la vie est garantie de la même façon dans les deux branches du droit qui se rapprochent davantage. La sacralité de la vie conduit non seulement à l'interdiction de tuer un soldat se rendant à l'ennemi, un soldat blessé, naufragé ou malade, mais également au respect de l'intégrité physique de l'individu et tout ce qui y rapporte.

La codification du DIH a limité le choix des méthodes ou des moyens de guerre et les souffrances issues des conflits armés en sont remédiées sans discrimination entre les individus fondée sur leur origine, leur appartenance, leur sexe, leur opinion politique ou philosophique, leur nationalité, leur race ou tout autre critère analogue. Ces Conventions prônent un traitement humain pour toutes les personnes ayant pris part aux hostilités sans tenir compte de leur statut. Ainsi, elles ont traité avec beaucoup de retenu la question du combattant pendant 145 ans.

C'est dans cette perspective que les ONG ainsi que des gouvernements se sont indignés du traitement inhumain des Afghans, Irakiens, Saoudiens et autres nationaux détenus notamment à Kandahar, Abu Ghraib et Guantánamo. Certes, ils méritaient le traitement prévu par la 3e Convention de Genève ou la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradant du 10 octobre 1984, mais les États-Unis se sont contentés d'affirmer que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, les hors-la-loi ne peuvent donc se prévaloir du droit qu'ils ont ignorés.

Les accords bilatéraux ou spécifiques de protection des droits fondamentaux sont pris en compte du moment qu'ils ne diminuent pas le minima standard des droits protégés par le droit de Genève. Les articles 6 des deux premières Conventions de Genève et 7 de la 3e Convention portent des stipulations en ce sens ainsi que les articles 13 à 18 de la 4e Convention ou l'article 49, § 4 du Protocole I. L'interdiction du traitement inhumain constitue le socle des droits fondamentaux reconnu de façon similaire par le DIH et les systèmes internationaux de protection des droits de l'Homme notamment la garantie des droits de procédure et d'une justice équitable.

Il y a une complémentarité entre le jus in bello et le DIDH. L'objet de protéger la personne humaine est cher à chacune de ces branches du droit. La CIJ le corrobore dans son Avis sur la licéité de la menace ou de l'emploi des armes nucléaires en ces termes : « la protection offerte par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne cesse pas en temps de guerre, si ce n'est par l'effet de l'article 4 du Pacte, qui prévoit qu'il ne peut être dérogé, en cas de danger public, à certaines des obligations qu'impose cet instrument. Le respect du droit à la vie ne constitue cependant pas une prescription à laquelle il peut être dérogé. En principe, le droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie vaut aussi pendant des hostilités ».

En définitive, L'octroi du statut de prisonnier de guerre à une personne ayant pris part aux hostilités sans être combattant procèdent de la conscience publique des belligérants. Le civil n'est pas un non combattant. Ce dernier est membre des forces armées d'un belligérant. Certes les deux peuvent relever du ministère de la Défense qui comporte des civils et des militaires. Tout militaire ayant achevé ses années de service regagne la vie civile. La confusion entre les civils et les non combattants rend davantage difficile la protection de différents organismes travaillant pour la protection des civils notamment le personne des ONG humanitaires.

L'interpénétration des discours et l'extinction progressive des prérogatives étatiques dans de nombreux secteurs d'activités n'épargnent pas les forces armées dont la transversalité au sein des secteurs de l'économie nationale est avérée. Nombre de mandats confiés aux forces armées dans le cadre des interventions onusiennes ont une nature non létale. Aussi ce contexte engendre-t-il une conséquence dans la pratique avec l'avènement des SMPS sur la scène internationale.