dimanche 27 décembre 2009

Les collégiens et la guerre au Congo

Article de Suzie Guth, publié in Cahiers d'études africaines, 2003/1-2, n° 169-170, p. 337-350.

 

Zao, vedette congolaise de la chanson, a atteint l'apogée de sa renommée

il y a une dizaine d'années grâce à une chanson intitulée Ancien combattant

dans laquelle il rappelle : « Non, la guerre ce n'est pas bon, ce n'est pas

bon. » C'est précisément par ces mots que les jeunes Congolais évoquent

aujourd'hui leurs années de guerre et d'errance. La guerre civile a métamorphosé

leur vision du monde, des hommes et de la communauté nationale.

Dans une chanson plus récente, Je suis l'enfant noir, Zao, qui a perdu un

de ses enfants, mort de malnutrition en brousse, raconte sa peine, puisqu'il

est lui-même l'enfant noir et « qu'il pleure la misère du monde », tire les

conséquences des actes belliqueux, et indique la manière dont les choses

se doivent d'évoluer. Le refrain reprend d'une façon lancinante : « Mea

culpa, mea culpa, mea culpa... C'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma

faute... » Plusieurs couplets s'achèvent ainsi : « C'est la faute à toi, c'est la

faute à moi, c'est la faute à lui » ou déclinent la culpabilité de la manière

suivante : « C'est la faute à vous, c'est la faute à nous, c'est la faute à eux »

pour conclure : « Maintenant changez ! Cavalez, cavalez, cavalez dans le

train de l'espoir, ne ratez pas ce train, le train du changement. » Peut-être

l'auteur de la chanson veut-il indiquer qu'à l'instar du dernier train partant

pour Pointe-Noire, le changement personnel ainsi que le changement collectif

doivent se faire impérativement, car il n'y aura plus d'autre train. La

deuxième strophe admoneste l'auditeur : « Lavez vos mains sales, Lavez

vos cerveaux, Plus de guerres tribales, Plus d'assassinats politiques, Mea

culpa, mea culpa. »

Ainsi, de la guerre un peu légendaire et caricaturale de l'ancien combattant,

où tout s'achève par ce constat : « cadavéré », le chanteur passe à une

réalité bien plus douloureuse pour lui, car elle est vécue, celle des années

de guerre des milices au Congo. Elles ont, d'une manière quasi définitive

pour les personnes interrogées, modifié leur appréhension de l'homme, de

la société et de l'avenir. L'histoire des guerres civiles (1993-1998), racontée

en cette fin de millénaire, est certes connue dans ses grandes lignes. C'est

l'errance en brousse et en forêt, c'est le désespoir qui gagne ces très jeunes

Cahiers d'Études africaines, XLIII (1-2), 169-170, 2003, pp. 337-350.

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gens, c'est l'interrogation sur soi et sur sa volonté de vivre, c'est la responsabilité

du jeune garçon envers sa famille, envers son père et la volonté de

lui venir en aide en restaurant l'entreprise familiale. C'est enfin, et nous

ne ferons qu'effleurer le sujet tant il paraît complexe, l'engagement dans

la milice du jeune candidat bachelier qui le transforme aux yeux de ses

voisins et amis en pilleur de magasins, si ce n'est en pilleur de maisons

particulières, voire en assassin.

C'est en décembre 1999 que nous avons interrogé, dans deux établissements

privés de Pointe-Noire, une vingtaine de jeunes gens âgés de 13 à

23 ans, la moyenne d'âge se situant autour de 15 ans. La majorité d'entre

eux étaient venus de Brazzaville, mais plusieurs, originaires de N'kayi, ont

évoqué la situation qui y régnait. Pour raconter leur exode et leurs tribulations,

ils ont soigneusement défini tout d'abord le contexte militaire, les

lieux, la situation de leur quartier, celle de leur parenté. Ils ont été cet enfant

noir que Zao chante... mais ils ont aussi, dans ce conflit, perdu l'enfance

et l'innocence.

Le contexte de la guerre

Pour expliquer sa trajectoire personnelle, chacun est obligé de faire référence

à des données globales, aux données plus particulières de sa rue, de

son quartier, à la situation de sa famille, pour retracer son cheminement

personnel et collectif. On peut noter que tous les biographes, malgré leur

jeune âge, ont cherché à mettre entre eux et le récit une distance pour éviter,

semble-t-il, que l'émotion ne les étreigne et ne les submerge, pour donner

autant que possible de la cohérence au récit. Ainsi, le déroulement des faits

prend, dans une certaine mesure, une connotation quasi neutre, bien que le

sentiment ne soit jamais très loin. Le locuteur ajoute à son récit des réactions

psychosomatiques, il rappelle les circonstances matérielles de l'attente et

des combats. Il s'est développé chez chaque adolescent, garçon ou fille, une

science de la guerre avec son vocabulaire spécifique, comme les « éléments

» pour désigner les combattants, mais aussi une connaissance des

armes plus banale pour les garçons, tout à fait nouvelle pour les filles. Le

récit, comme toute aventure, est interprété en fonction des événements qui

se sont produits ultérieurement : l'intéressé connaît l'issue du conflit ; il ne

s'agit donc pas de voir dans cette narration une vision de l'instant vécu hic

et nunc, mais l'épisode tel qu'il a été reconstitué un an après.

« Dès le début de la guerre du 5 juin 1997, nous nous trouvions à Moungali [quartier

Nord de Brazzaville], dans la rue Ossélé. Nous étions entre deux feux, celui du

président déchu et celui du président actuel.

Dès qu'il faisait dix-neuf heures à Brazzaville, les éléments de l'actuel président

plaçaient leurs gros engins de combat tout juste au niveau de notre portail pour

commencer à tirer à partir de vingt heures : ces coups de feu nous dérangeaient,

pour mon cas ils m'avaient provoqué des diarrhées continuelles et j'urinais toutes

LES COLLÉGIENS ET LA GUERRE AU CONGO 339

les cinq minutes. On n'avait plus d'appétit, nous passions nos nuits à même le sol,

tout près des murs, pour éviter les balles perdues qui traversaient le plafond.

A`

sept heures, on nous informait qu'il y avait des corps à la grande avenue de la

Paix, en face du foyer des Anciens Combattants, il fallait se rendre sur place pour

constater cela, ce qui était inquiétant, c'est que les corps faisaient parfois trois,

quatre jours sur place et les chiens, faute de nourriture se nourrissaient de cadavres.

Nous avons profité pendant la trêve pour nous rendre à Makélékélé [quartier Sud

de Brazzaville] dans la zone Sud, là-bas aussi, nous avons constaté des atrocités :

même pour arriver à Makélékélé, il fallait franchir des barrages. Au niveau des

barrages, il se passait des choses pires, car certains hommes étaient mis à l'écart

pour être tués à quelques mètres du Palais de Justice, non loin du Centre culturel

français de Bacongo. Comme je le disais avant, les gens à Makélékélé, les gens

trouvaient la mort par les obus et les roquettes envoyés par les éléments du pouvoir

déchu. Une preuve, c'est que mon frère Frantz un jour reviendra à la maison avec

des habits tâchés de sang et des morceaux d'entrailles, dus à un obus qui était

tombé devant eux à l'Angola Libre [école], qui avait éventré son ami, ce dernier

avait trouvé la mort sur place. »

Prudence (élève infirmière)

Ce début d'autobiographie, qui a aussi donné lieu à un entretien biographique,

retrace avec acuité le déroulement temporel : il précise non seulement

le jour mais aussi l'heure, le lieu, les déplacements effectués, les

scènes éprouvantes : les cadavres de l'avenue de la Paix, dont certains étaient

dévorés par les chiens, les scènes supposées ou connues ultérieurement

(les hommes mis à l'écart près du Centre culturel français, et ensuite tués),

les scènes vues par des proches (le frère qui garde sur ses vêtements les

traces des entrailles de son camarade déchiqueté par un obus à l'Angola

Libre).

Dans ce début de récit, la guerre est vécue comme une mise en place

méthodique : à dix-neuf heures, les combattants se préparent pour tirer vers

vingt heures. Une trêve permet de circuler et d'aller de Moungali à Makélékélé.

Là sont tombés roquettes et obus. Un barrage filtre les personnes, et

les hommes retenus seront tués. Enfin, la guerre, telle qu'elle est perçue

par Prudence, ruine les corps, comme elle peut le constater avenue de la

Paix et au retour de son frère.

Parfaite habitait elle aussi à Moungali, mais sa grand-mère se trouvait

à Bacongo, elle dit qu'elle lui rendait souvent visite.

« Un jour, je suis partie là-bas [à Bacongo] voir ma grand-mère. Tout d'abord, en

arrivant à Bacongo, c'était tout un problème : j'ai croisé en chemin une troupe de

Ninjas [qui sont les miliciens de Bernard Kolelas], ils m'ont demandé où j'allais.

Je leur ai dit, et ils m'ont demandé de jeter quelques jetons d'argent dans leur

cuvette. Ce jour-là, si je ne me trompe pas, j'avais quatre cent vingt-cinq francs1

sur moi et j'ai déposé deux cents dans la cuvette et je suis partie. Je suis arrivée

chez ma grand-mère qui était toute seule, elle a commencé à me dire qu'elle ne

dormait pas la nuit à cause des bruits de fusil et autres armes. Je l'ai demandé de

venir avec moi, malheureusement elle a refusé : elle disait qu'elle allait laisser sa

parcelle, avec qui ? »

1. Il s'agit de francs CFA, un franc français valait cent francs CFA.

340 SUZIE GUTH

Parfaite revient à Moungali.

« La nuit on regardait les étincelles rouges des balles qui allaient et disparaissaient

dans le ciel. Ça venait de la direction de Bacongo, du centre ville et des autres

quartiers Nord. En fait les militaires étaient chacun dans son quartier, comme c'était

à l'époque de la guerre de Lissouba contre Kolelas, donc des Ninjas contre les

Zoulous, Mambas et Cocoyes. »

Le récit se poursuit avec des réminiscences, des comparaisons d'une

guerre à l'autre, des souvenirs racontés par la soeur, tout se mêle, les conflits

s'additionnent, les expériences vécues se succèdent, comme si elles manifestaient

une continuité ; l'intéressée n'a pas toujours conscience de l'évolution

de sa personne entre 13 et 20 ans. Que dire de ceux qui témoignent aujourd'hui

à 15 ans, mais qui n'étaient âgés que de 8 ans lorsque le premier conflit

congolais a éclaté ?

Le désespoir et l'errance

Le désespoir, tout autant que l'espoir émaillent ces témoignages. La cessation

de l'état de guerre et la signature d'un accord en décembre 1999 engendrent

l'espoir que s'établira enfin une paix durable. Le désespoir est lié au

dénuement le plus total, au sein d'un monde que la famille a depuis longtemps

déserté : celui de la vie au village, en brousse, avec l'apprentissage

de la cueillette, de la chasse et de la pêche. Ces expériences étaient, en

temps de paix, très positives pour les adolescents urbanisés d'autrefois :

elles signifiaient alors vacances scolaires, relations grands parents/enfants,

liberté dans la nature et l'habileté manuelle dont faisaient preuve les garçons

et les filles pour faire des pièges ou pêcher étaient hautement valorisée.

D'une certaine manière, la vie au village était pour l'enfant métropolitain

une expérience de l'abondance tant en affection qu'en nourriture. Il n'en

est plus ainsi dans ces périodes troublées : le parent rural n'est plus celui

chez lequel on se rend régulièrement, l'urbanisation a distendu les liens et

a favorisé la mobilité des générations.

Flore fait au cours de son récit des allusions à sa fuite. Sa soeur et elle

se sont trouvées séparées de leur famille alors qu'elles étaient à Bacongo.

« On dormait dans les écoles à même le sol. On préparait avec cela. Je suis partie

avec un pagne. Les femmes ont dit, on va à Mbanza N'dounga2. Les Ninjas nous

ont forcées d'aller là-bas. Pendant un mois on a mangé les mangues, même les

grenouilles. J'en ai été malade, paludisme. L'oncle était à Pointe-Noire. Une femme

courageuse a dit : "On doit sortir du village". On a marché deux mois : de M'Banza

Ndounga jusqu'à Dolisie. En s'arrêtant dans les villages. Les Ninjas nous ont laissé

passer. J'ai vu une femme accoucher d'un enfant mort. On a traversé les rivières

à la grâce de Dieu. Chaque matin on priait. Je croyais vivre un cauchemar. Je me

demandais si j'étais vivante ou morte... Ma soeur a dit à un milicien qu'elle préférait

2. Cette localité se trouve au bord du Fleuve Congo, à une cinquantaine de kilomètres

au sud de Brazzaville.

LES COLLÉGIENS ET LA GUERRE AU CONGO 341

être tuée plutôt que violée, car elle devrait vivre toute sa vie avec ça. Dieu était

avec nous, protège-nous ! Je priais. Tout le monde priait. Chaque six heures on

prie, chaque dix huit heures aussi. Je suis restée à Dolisie juste un jour, après on

était séparées. »

Le lendemain elle sera à Pointe-Noire. Le récit de Flore fait part du

dénuement matériel :

— on dormait à même le sol ;

— je suis partie avec un pagne ;

— on a mangé les mangues, même les grenouilles.

Fuir fut la décision d'une femme courageuse, car le trajet de Mbanza

Ndounga à Dolisie était de près de 300 kilomètres. Cette errance à travers

la brousse fut le règne de l'incertitude, de la rencontre de dangers auxquels

on échappe par « la Grâce de Dieu ». Pour conjurer ces doutes, pour sortir

de ce cauchemar vécu, la seule solution était de s'adresser à la divinité pour

demander aide et protection. Comme l'affirme Flore, la prière devint une

règle de vie : prier au lever du jour et à la tombée de la nuit, avant de se

mettre en marche et avant d'établir le campement. Dieu était avec elles

puisqu'il a permis au groupe de survivre. La jeune fille affirme : « Je me

demandais si j'étais vivante ou morte. » La situation, déjà qualifiée de cauchemardesque,

est assimilée à un mauvais rêve qui génère l'angoisse, puis

est vue rétrospectivement comme liée à un état qui n'est ni la vie, ni la

mort, qui est aux frontières de l'être et du non-être, d'une certaine manière

aux franges de la conscience et probablement de l'indicible. Dans cette

situation, la prière apparaît comme la seule action adéquate, puisqu'elle est

une demande d'intercession, de grâce du visible à l'invisible. La prière collective

et méthodique qu'évoque Flore conjugue à la fois deux éléments,

le premier qui est celui de l'efficace magique du rite (Mauss 1950 : 17-83)

(l'évocation du nom de Dieu engendre de par lui-même une grâce dans le

christianisme), le second qui est l'expression collective et rituelle des sentiments

des personnes en exode sur les chemins du Congo. Le désordre provoqué

par le conflit, avec la fuite des habitants de Brazzaville vers la région

du Pool et la vallée du Niari, conduit presque nécessairement ceux-ci à

demander l'intercession de la divinité. La vie qu'ils ont menée, les dangers

qu'ils ont croisés, les morts inattendues dont ils ont été témoins, les conduisent

à croire que seule la divinité a pu les tirer de cette situation. Néanmoins,

comme nous le verrons dans le cas de Flore, ils n'en sont pas tout à fait sûrs.

Joséphine, âgée aujourd'hui de 23 ans, considère que c'est une femme

qui l'a sauvée. En 1997, elle rentre chez elle à Bacongo et ne trouve personne.

Elle part donc avec la masse des habitants et se rend à Kinkala.

« Une femme s'est occupée de moi. On était deux cents, partis à pied sans rien.

On a fait un mois là-bas. La femme nous nourrissait, partait aux champs et me

traitait comme sa fille. Il y avait plus de dix personnes [à sa charge]. Je pense

toujours à elle. J'ai été sans fréquenter [l'école] pendant un an. Père est revenu à

Brazzaville, il y a eu un communiqué à la radio : j'ai entendu le communiqué. »

342 SUZIE GUTH

Joséphine attribue sa survie en 1997 à l'esprit d'entraide d'une femme

de Kinkala qui l'a prise sous sa protection et a joué auprès d'elle le rôle

d'une mère nourricière. Ses parents feront aussi l'expérience de cette solidarité

à Mbanza Dounga, grâce aux champs mis à leur disposition. Néanmoins

ces fragments de récits d'aide et de générosité vont se perdre dans l'accumulation

des conflits et de l'expérience de 1998 qui, plus dramatique, verra

la disparition de ses deux frères, tués par les miliciens sous les yeux de la

famille.

La capacité de survivre et de vivre

L'expérience traumatique d'actes jugés inhumains fait douter l'intéressée

de sa capacité de survivre, ou la fait douter de la réalité de la vie. C'est

la souffrance des autres qui affecte les jeunes gens, c'est aussi et surtout

l'acte gratuit, la mort donnée sans raison, « tuer à bout portant », comme

l'affirme Joséphine. Elle pense particulièrement à ses frères : « Mes deux

grands frères tués sans problèmes. » Elle évoque plus loin les deux manières

de tuer :

« Il y avait deux façons de tuer les gens : par balle ou par ta propre mousse [matelas],

on te roule dans la mousse, on attache par la corde, on met l'essence puis on

brûle. Si tu es une fille malchanceuse, on te viole, puis on te tue. Parfois on te

demande de soulever un cadavre déjà pourri qui dégage, parfois ils viennent avec

un grand véhicule, ils prennent tous les biens de la maison devant vous-même. »

Joséphine s'adresse aussi à Dieu et lui demande de veiller sur le Congo

et ses présidents, mais elle pense que là où il y a Dieu, il y a Satan. Ayant

fait l'expérience du mal, de la mort de ses frères assassinés sous ses yeux

et sous ceux de sa famille, elle associe l'existence du Bien et de la divinité

à celle du Mal : Satan. Elle ajoute plus loin : « Dieu est vraiment puissant

de nous avoir gardés jusqu'à maintenant, moi, qui me croyait déjà morte. »

Flore n'a perdu aucun membre de sa famille dans ce conflit (elle est

déjà orpheline), elle s'interroge, comme on l'a vu, sur la réalité, sur la vérité

des informations : « Où est le mensonge ? », demande-t-elle à propos d'une

information concernant la présence des militaires. Elle doute de la vie, mais

elle doute aussi de la vérité. Nous le voyons, l'atrocité de la souffrance ou

de la mort, octroyée « par hasard » ou pour rien, conduit au doute existentiel,

à l'interrogation sur la vérité des choses. Parfaite, une jeune fille de 20 ans

conclut son autobiographie par ces mots : « Je ne sais pas si je vais arriver

demain, si j'atteindrai trente ans. »

La succession d'événements imprévisibles, le chaos dont elle a été

témoin rendent l'avenir problématique pour Parfaite. Elle n'est plus sûre de

rien et exprime l'« angoisse du lendemain » : l'inquiétude qui la taraude,

l'expression ambiguë qu'il y ait une fin une bonne fois pour toutes, l'incertitude

quant à cette absence de fin, l'absence de tranquillité pour les gens.

LES COLLÉGIENS ET LA GUERRE AU CONGO 343

On le voit pour Joséphine, Flore et Parfaite ainsi que pour leurs homologues

masculins, l'expérience de la guerre est l'expérience de l'incertitude, du

chaos, de l'absence d'ordre ou de la présence d'un ordre totalement arbitraire

et totalement aléatoire, qui conduit à l'interrogation sur sa propre

survie, sur les raisons de celle-ci. La perception du temps change ; il devient

vite évident qu'il y a un avant et un après, il y a le temps rapide de la

fuite de la capitale vers la périphérie ; enfin s'installe le temps de l'attente,

ou celui qui paraît le plus éprouvant, celui de la longue marche du bassin

du Congo vers le bassin du Niari.

L'alternative « vivre ou mourir » est présentée comme l'événement le

plus éprouvant (hormis la mort de ses proches). Parfaite évoque abondamment

cette perspective.

« Le premier jour, ceux qui sont restés... Je vais surveiller la maison et ceux qui

voulaient partir, le deuxième on rentre dans la maison et on tue.

Ailleurs à Bacongo, on parle Lari donc on a la vie sauve, mais Mbochi on vous

emmène.

Chez les Cobras il y avait un mélange de nationalités, des Zaïrois, des Rwandais,

des Angolais, on vous demande pas, on tue. A`

Poto-Poto, Plateau des Quinze Ans

on vient, on vous tue. »

C'est donc une question de chance, de circonstances, selon que l'on

croise les uns ou les autres, selon ses connaissances linguistiques et celles de

la personne qui vous interroge. Elle revient sur le début du conflit de 1997 :

« Certaines autorités ont donné des armes aux petits du quartier pour riposter peutêtre.

Après, c'était devenu comme une arme d'agression. Pour agresser la population

: ils rentrent, ils demandent de l'argent. Un jeune avec une arme, vous

l'abattez. »

Parfaite veut montrer (comme l'avait déjà fait Henri Ossebi (1998) dans

un article intitulé « De la galère à la guerre : jeunes et Cobras dans les

quartiers nord de Brazzaville ») que le jeune candidat au baccalauréat qui,

la veille essayait encore de passer ce diplôme de fin d'études secondaires,

se transforme à la vue des pillages, en pilleur comme les autres puis, éventuellement

en bourreau.

Le jeune qui se transforme en milicien

« Je n'ai pas hésité quand j'ai vu que mes copains commençaient à revenir du front

du centre ville avec des appareils de télé, des radiocassettes, des paires de chaussures

Cardin, Jean-Marc Weston, des coupons de tissus venant des magasins des Waras

et des Libanais, etc. Avec Dédé et Melo, nous avons décidé de faire comme tous

les autres éléments : on monte au front pour choisir les secteurs encore non pillés,

on attend le signal de ceux qui dégagent la voie et quand on a bien "nettoyé", on

se sert. »

344 SUZIE GUTH

On voit dans cet extrait comment l'appât du gain, mais aussi la sympathie

pour l'ancien président Sassou N'Guesso, transforment ce candidat au

baccalauréat en pilleur de magasins brazzavillois. La vue de ses camarades

qui reviennent du front avec leur butin de marchandises volées dans les

magasins du centre ville va rapidement convertir le jeune homme en élément

opérant sa razzia. Henri Ossebi (1998) analyse cette mutation en termes

d'inimitié politique.

Au cours de son histoire mouvementée, le Congo a vu plusieurs fois se

développer, à l'instigation du gouvernement, des milices composées de

jeunes, considérées comme l'élite ou l'avant-garde du Parti, qu'il s'agisse

de la Défense civile3, de la JMNR ou de l'UJSC4. Il existerait ainsi une filiation

entre ces milices des partis uniques et celles du pluripartisme. La deuxième

phase de l'interprétation porte sur l'inimitié, qui fut sous le régime marxisteléniniste

une inimitié extérieure et intérieure : l'impérialisme d'une part et

ses valets, faisant figure d'ennemi extérieur, et d'autre part les bourgeois

compradores, qui, traîtres à leur patrie, sont des ennemis de classe qualifiés

souvent de tribalistes. L'ennemi a ainsi une double articulation : celle de

la classe sociale et celle de la tribu. Le président Lissouba fit l'assimilation

entre l'une et l'autre en inventant le néologisme de classe-tribu qui fit florès.

Joseph Tonda (1998) expose avec talent comment s'interprète la parole

politique pour servir l'intérêt du jeune milicien : « Pillage ezali Nkossa5 :

chacun aura sa part. »

Ces deux propositions indépendantes et juxtaposées doivent suggérer

que la revanche va avoir lieu, cette proposition est confirmée par les propos

présidentiels : chacun aura sa part, ce qui légitime l'interprétation de la

taxation de l'ennemi politique. A`

chaque déplacement, à chaque mouvement,

les individus doivent payer. Ainsi Nadège explique que pour quitter

N'Ganga Lingolo, 2 500 F doivent être payés aux Cobras. Sa mère veut se

rendre au Zaïre, mais elle a semblé suspecte, « on a pensé qu'elle était

infiltrée. Un monsieur l'a sauvée qui était Ninja, mais le Monsieur a dit :

je vais t'aider, mais donne l'argent ; ce qui fut fait et maman est sortie à

deux heures du matin pour aller au Zaïre ».

Les miliciens répondent donc à deux objectifs : le premier vise à obéir

au charisme du chef, à son appel, le second plus rationaliste et plus utilitariste

indique que le gâteau national, un Nkossa symbolique, sera partagé

entre miliciens. La logique de l'engagement est donc double, elle est d'une

part militante et d'autre part rationaliste quant aux fins. En attendant le

partage de Nkossa, les miliciens introduisent partout où ils passent de nouvelles

taxes sur la vie, sur la circulation des personnes. Ils transforment

même les écoles en terrain d'affrontements, comme le relate Alexandre qui,

3. La Défense civile fut l'élite de la JMNR (Jeunesses du mouvement national de la

Révolution) sous la présidence de Massemba Débat.

4. Mouvement de jeunesse du Parti à partir de 1979 et de l'avènement de Denis

Sassou N'Guesso.

5. Nkossa est un gisement de pétrole off shore exploité par Elf Congo.

LES COLLÉGIENS ET LA GUERRE AU CONGO 345

voulant aller au CM2 en 1993, vit que les Cocoyes avaient installé dans la

cour de l'école primaire le matériel de guerre. Un parent d'élève essaya de

les faire sortir, ils tirèrent en riposte et son ami reçut une balle dans la main

gauche ; il avait fallu se coucher pour éviter les balles perdues. « Rentré à

la maison, j'ai dit de ne plus aller à l'école. » Alexandre, dont le père fut

député, est aujourd'hui âgé de 16 ans et n'a pas fréquenté l'école pendant

3 années : il éprouve de grandes difficultés scolaires et sa dysorthographie

est manifeste. Il était vendeur au marché de Commission Saint Pierre Claver

et était livré à lui-même, n'ayant plus de moyens de subsistance. Depuis

plusieurs années, il n'a plus de nouvelles de son père, qui est réfugié dans

un pays africain assez lointain. Pour ce jeune homme, la vie a totalement

basculé. Fils d'un homme politique, élevé dans une certaine aisance, il se

retrouve à la rue comme nombre de déscolarisés : il attend, en vain des

nouvelles de son père, dont il n'a plus de signe de vie depuis 3 ans. Le

pillage des miliciens et la situation de guerre renversent l'ordre matériel

des choses, les premiers se retrouvent avec des téléviseurs, des voitures ;

les seconds, comme Alexandre, issus de familles bourgeoises se retrouvent

à la rue et deviennent vendeurs au marché, jusqu'au jour où, par miracle,

sa grande soeur le retrouve.

Le jeune qui sauve l'entreprise paternelle

Michaël vit la guerre comme une sorte de course de vitesse entre le chaos

qu'elle a engendré et la nécessaire reconstruction de l'usine paternelle. Le

père est absent au moment des faits, il est en France pour raisons commerciales,

car il cherche du matériel pour son entreprise qui utilise des oléagineux

et fabrique du savon. Le mercredi 5 juin 1997 est un jour de

composition à l'école : la guerre éclate, des coups de feux sont tirés à

Ouenzé. A` la maison, on démonte, avec la collaboration des ouvriers, les

machines du père et on les enterre sous le sol. La famille résiste une semaine

à Ouenzé, mais après les pilonnages au mortier, elle ne peut plus supporter

la situation, et va se réfugier à Bacongo. Pendant ce temps...

« Papa quitte la France, mais à son arrivée il est intercepté par les Cobras, en raison

de la consonance bembé de son nom. Il est emmené derechef à M'pila6, dans le fief

de l'ancien président. Ayant appris la venue de son père et ayant vu ses chaussures à

Ouenzé, la famille a cru qu'il avait été tué, en conséquence ils repartent à Bacongo

et la mère de Michaël rejoint son groupe de prières. Le père cependant va rester

prisonnier de l'ancien président de la république Sassou N'guesso pendant quatre

mois, il est l'homonyme d'un homme politique, ce qui explique son enfermement.

La famille croit à son décès, la veillée funéraire a déjà eu lieu. On avait cherché

le père parmi les prisonniers de Kolelas ainsi que parmi les rebelles, les recherches

avaient été menées par l'intermédiaire d'un sergent, mari de la petite soeur de la

6. M'Pila est l'ancien quartier industriel et d'entrepôts de Brazzaville, il jouxte le

centre et se trouve au bord du Fleuve Congo.

346 SUZIE GUTH

mère, mais elles ne donnent rien, même si les recherches se font aussi à M'Pila ;

de fait, le père a été enfermé à quarante-cinq kilomètres au Nord de la ville. De

guerre lasse, la famille décide d'aller à Pointe-Noire chez les parents paternels.

Là-bas, le 18 décembre à 10 heures on téléphone : c'était papa qui téléphonait

de l'aéroport de Pointe-Noire. On est parti le prendre, il était sale, amaigri, pas

reconnaissable. »

Après la guerre, la famille de Michaël va déterrer les machines pour

les amener à Pointe-Noire, mais l'huile de palme y est trop chère ; ils sont

donc obligés de s'installer à N'kayi afin de poursuivre la fabrication. Le

père a bénéficié d'un crédit et se lance donc dans les activités industrielles

et commerciales dans le Niari cette fois. Au mois d'août, il se rend en

France avec la mère de Michaël pour y acheter une machine à conditionner

les produits de son entreprise. La guerre commence alors à N'kayi ; aussitôt

le jeune homme enterre les machines pour les dissimuler et essaie de rester

sur place. Mais il doit bientôt fuir et va se réfugier dans un village yamba

avec un lot de marchandises qu'il arrive à vendre, se constituant ainsi un

pécule assez important. Les Cobras, sur la piste de la famille, ont appris

la présence des jeunes à Yamba. Ils s'y rendent et braquent le neveu du

père : ils obtiennent ainsi 200 000 F. Les parents étaient entre temps arrivés

à Pointe-Noire. Les jeunes, qui ne pouvaient plus retourner à N'kayi, décidèrent

de se diriger vers Dolisie, où ils arrivèrent en deux jours et où ils

trouvèrent un gros camion Mercedes à destination de Pointe-Noire, moyennant

la somme de 5 000 F. Ils avaient, bien entendu, emporté à Pointe-Noire

tout l'argent qui restait en leur possession. Celui-ci permit d'acheter une

partie des ingrédients nécessaires à la remise en marche de la production.

On partit déterrer les machines à N'kayi et on les rapatria à Pointe-Noire.

En décembre 1999, les travaux avaient commencé, la production était en

cours, mais il restait à mettre en place la commercialisation. Les machines

ont été pillées deux fois par les ouvriers, devenus des miliciens Cocoyes,

et certains ont péri de mort violente depuis. Le père de Michaël doit rester

à Pointe-Noire : il ne peut plus retourner à Brazzaville. Pour l'essentiel, il

doit ses ennuis à son appartenance ethnique.

Michaël m'explique que le moteur de ces machines tourne à trois mille

tours minutes et que des réparations ont pu être faites, mais qu'elles sont

minimes. Les tribulations de ces machines, qui constituent le gagne-pain

de cette famille, ont été semblables à celles des hommes. Enterrées, puis

déterrées, elles ont pris le chemin de l'exode pour servir à nouveau plus

loin. Sur la ligne du chemin de fer Congo-Océan (CFCO), elles sont devenues

la proie des miliciens. Préserver l'outil de travail semble avoir été l'objectif

de Michaël, mais aussi sa responsabilité personnelle en l'absence de l'autorité

paternelle ; c'est ainsi du moins qu'il perçoit son histoire et il la raconte

avec un plaisir évident. Tout se passe comme s'il devait, malgré son jeune

âge, remplacer le père et préserver le capital familial, fruit de l'esprit d'entreprise

paternel.

LES COLLÉGIENS ET LA GUERRE AU CONGO 347

*

La responsabilité qui pèse sur les épaules de ces jeunes gens peut paraître

écrasante et disproportionnée par rapport à leur âge mais, dans le ton de

leurs propos et le style, qui cette fois-ci est actif, ils montrent qu'ils se

sentent investis de fardeaux, mais qu'ils en sont rétrospectivement fiers. Le

récit de la fuite le long de la voie de chemin de fer pour éviter les milices

et s'éloigner des combats est le plus souvent présenté comme une série

d'actions qui se suivent et que l'on essaie de maîtriser pour les dépassionner.

Le récit souvent objectif de ces exactions — «on a sorti quinze personnes

» — vise à la mise à distance des événements, trop d'atrocités vues

contribuent peut-être à ce type d'exposé distancié ; mais dès lors que l'on

évoque la disparition du petit frère, pour les filles comme pour les garçons,

la voix tremble, les larmes sont prêtes à couler. La mort du plus jeune et

du moins résistant, la vision de ces enfants morts nés dans la brousse ou

de ces femmes mourant en couches perturbe profondément les jeunes filles,

d'autant que certaines d'entre elles se destinaient aux métiers de la santé.

« Je suis l'enfant noir » représente celui que l'on a sacrifié sur l'autel

de la guerre, tant pour le chanteur Zao que pour les membres de la famille.

Les récits s'achèvent tous par ce cri : « La guerre, ce n'est pas bon »

ou par une exhortation à la paix, comme dans le cas de Parfaite. Le récit

de ces jeunes gens, devenus ponténégrins par nécessité, se heurte pour beaucoup

d'entre eux à l'indicible, à une telle rupture avec les normes en vigueur

que le vocabulaire et l'expression ne suffisent plus à les exprimer. Les lieux

consacrés, les églises deviennent des lieux de tueries et de viols comme le

relate Parfaite. L'ordre du monde semble inversé ; le fait d'avoir vécu le

chaos tout en disposant toujours de la solidarité de la famille élargie rend

l'avenir aléatoire et problématique. La croyance dans son propre futur et

dans celui de la société se rapproche plus d'un acte de volonté personnelle ;

le futur ne peut plus être une simple projection du passé, il doit le transformer,

le mettre à distance. L'acte de guerre n'introduit pas seulement une

rupture avec le temps de paix, avec une période non belliqueuse, il provoque

aussi à l'échelon collectif une interrogation générale sur la signification de

l'être-ensemble ainsi que sur la signification des être-ensemble particuliers.

La nature des combats et des combattants, les expériences personnelles, les

rencontres douloureuses sont réinterprétées selon une hiérarchisation nouvelle

des groupes qui peut se résumer dans le couple ami-ennemi, mais qui

peut aussi se décliner sur des modes plus transitionnels. Les guerres s'achèvent

avec des vainqueurs et des vaincus, mais quand elles sont internes,

bien que tous les citoyens n'aient pas eu à fuir, beaucoup ont eu à porter

le fardeau du conflit, que ce soit l'afflux de réfugiés, la nécessaire solidarité

familiale, l'abandon des villages et des cultures, ceux que l'on laisse derrière

soi, en ville ou dans la forêt. Mais tous, quels qu'ils soient, semblent concernés

par la responsabilité et la faute.

348 SUZIE GUTH

Les guerres civiles congolaises s'achèvent par une interrogation sur

l'être-ensemble congolais, elles offrent cependant une réponse paradoxale

à cette question : le conflit modifie non seulement l'être mais aussi l'appréhension

de la nation, ainsi que celui de l'être-ensemble collectif. Parfaite,

à sa manière un peu naïve, se demande.

« Par les dires des gens, les guerres sont dues au pouvoir... On a toujours dit que

le Congolais est le dernier des idiots, eh bien c'est vrai, nous nous faisons manipuler,

piétiner par des étrangers dans notre propre pays. Et, après avoir fait couler le

sang de nous, peuple congolais, pendant qu'eux ils se sont enfuis avec leurs parents

et familles en exil : ils reviennent pour la paix. »

Parfaite, en faisant ainsi référence aux anciens dirigeants du pays ou de

la capitale, veut montrer que « le peuple en a plus que marre de ces massacres,

ces tueries, ces viols, ces pillages, tous ces actes de sans-coeur ».

Le peuple souffre de l'absence de compréhension de ses dirigeants (des

« Sans-coeur ») qui s'enfuient alors que le peuple vit les affres de la guerre.

Elle montre ainsi quel fossé s'est creusé entre gouvernants et gouvernés :

elle en conclut que le Congolais est le « dernier des idiots », car il s'est

laissé mener par ces hommes. Ce faisant, à sa façon, elle cherche les responsabilités,

comme le fait le chanteur Zao : « C'est la faute à nous, c'est la

faute à eux. »

Les guerres civiles ont introduit la dimension tragique de l'existence.

Vecteur de la fin d'un monde, les guerres ont souligné la fragilité de l'existence

humaine, la facilité avec laquelle celle-ci pouvait être abrégée, mais

aussi l'incroyable loterie de la vie et de la mort. Les survivants se demandent

tous pourquoi ils sont restés en vie, car, comme les autres, ils ont côtoyé

les mêmes dangers, les mêmes personnes, ils ont fréquenté la même route...

prenant quelquefois le dernier train pour Pointe-Noire.

La vie rustique et souvent ingénieuse, où l'on fabrique sa lampe avec

une noix de coco et de l'huile palme, où le sel est arboricole, ne semble

avoir laissé aucun souvenir positif, même si elle a révélé l'adaptabilité de

nombre de personnes. Certains de ces adolescents se souviendront, car l'histoire

de ces guerres fait partie de leur histoire, de personnes particulièrement

courageuses ou dévouées à qui ils doivent la vie ou la survie. Chacun dans

son périple a cherché à renouer, dans la mesure de ses moyens, avec le

village de son père, de sa parenté, de sa mère, quelle que soit la durée de la

marche. Pour certains, une course-poursuite s'est engagée avec les miliciens.

Fuyant N'kayi, Ulrich arrive à Madingou le 24 décembre dans la parcelle

de sa grand-mère, mais le calme sera de courte durée. Les Cobras sont

annoncés à Madingou, il faut donc fuir plus loin vers Aubeville, Boko

Songo, puis ce sera la fuite vers le Congo démocratique où le père va trouver

un embarquement pour la France où il se rendra seul. Ulrich ne reverra pas

son père.

La fuite a entraîné une déscolarisation partielle de quelques mois pour

certains, de plusieurs années pour d'autres : la reprise des études ne s'avère

LES COLLÉGIENS ET LA GUERRE AU CONGO 349

pas aisée, même si les jeunes gens de ces établissements privés bénéficient

de conditions pédagogiques favorables : ils sont peu nombreux en classe

(une trentaine) et disposent de suffisamment de manuels et de matériel. La

difficulté semble ailleurs, la guerre a exigé de l'individu des capacités de

survie nouvelles, mais elle a engendré en contrepartie de plus grandes difficultés

à vivre, à vouloir vivre, à espérer et à croire. Ce scepticisme devant

la vie est aggravé pour certains par des deuils douloureux, comme celui

des frères de Joséphine, par des départs : celui du père dont on demeure

sans nouvelles et dont on ignore l'adresse. L'image même des Congolais

s'est trouvée modifiée, le chanteur Zao invite les Congolais à changer, tant

dans les coeurs que dans les âmes, comme le souhaite aussi Parfaite.

Université Marc Bloch, Strasbourg.

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RÉSUMÉ

Vingt-six jeunes gens d'un établissement privé catholique de Pointe-Noire racontent

leur fuite et leur parcours durant les guerres civiles congolaises. Ils cherchent à

prendre leurs distances avec les situations tragiques qu'ils ont connues mais, en

même temps, les émotions les submergent et les actes de barbarie les anéantissent.

Ils ont fait l'expérience du dénuement, alors que leurs familles sont plus aisées que

la moyenne, mais aussi celle de la fragilité et de la fin de la vie humaine. La gratuité

de certains actes les conduit à mettre en cause la réalité et le sens. La plupart ont

trouvé refuge dans une conduite méthodique de la prière : le sacré permet non seulement

de rythmer une vie d'errance (la plupart sont venus de Brazzaville jusqu'à

Pointe-Noire), mais aussi d'appréhender un monde transcendant. La guerre conduit

ces jeunes collégiens à l'expérience métaphysique et ontologique, à une réflexion

sur la condition humaine et à la recherche de la rédemption par l'intercession auprès

du divin.

ABSTRACT

Middle-School Pupils and the War in the Congo. — Twenty-six youngsters from a

private Catholic school in Pointe-Noire (Congo-Brazzaville) tell what happened to

them and how they fled the Congolese civil wars. Though trying to stand back from

the tragedies through which they have lived, they are overwhelmed by emotions and

stupefied by the barbarity. They were left destitute and vulnerable even though their

families were better-off than the average. Having faced death and wanton actions,

they have come to doubt reality and its meaning. Most of them have taken refuge

in methodical praying. Religion not only gives a rhythm to their errant lives (Most

of these pupils came from Brazzaville) but also opens toward a transcendent world.

War caused these youngsters to have a metaphysical, ontological experience that

has made them think about the human condition and seek redemption in the sacred

sphere.

Mots-clés/Keywords : Congo-Brazzaville, Pointe-Noire, adolescents, barbarie, collégiens,

dénuement, expérience métaphysique, guerre civile, prière, sacré/Congo-

Brazzaville, Pointe-Noire, adolescents, barbarity, middle-school pupils, destitution,

metaphysical experience, civil war, prayer, religion.

jeudi 26 novembre 2009

La situation des enseignants du supérieur et l’avenir du développement en Afrique

Takyiwaa Manuh*

 

Introduction

Al'opposé des scénarios catastrophes qui ont caractérisé les écrits sur l'enseignement supérieur (ES) en Afrique au cours des deux dernières décennies (cf. les nombreuses sources citées dans Ajayi, Goma, et Ampah Johnson 1996), la période actuelle peut être considérée comme une période d'espoir retrouvé et d'optimisme. Les nombreuses publications, conférences, réunions et initiatives sur «la relance de l'enseignement supérieur en Afrique», et dont la plupart sont organisées par les bailleurs de fonds, constituent un témoignage de la résistance et de la détermination des universitaires africains, et des tentatives de réformes, assez faibles, il est vrai, des institutions africaines qui ont refusé de se laisser entraîner dans le désespoir et un sentiment d'infériorité concernant les affaires africaines, qui sont surtout cultivés par la Banque mondiale.

En fait, ce qui est étonnant, c'est qu'en 2002 la Banque mondiale est revenue avec un programme pour l'éducation tertiaire en Afrique, et en fait maintenant une condition nécessaire pour le développement en Afrique (Banque mondiale 2002). Cependant, ce programme a fait l'objet de critiques pour son a-historicité et ses préjugés sélectifs, ainsi que sa tentative de reprocher aux Africains d'avoir, avec assiduité, appliqué les conseils de la Banque mondiale pendant plus de deux décennies1. Ce qui apparaît clairement à travers toutes ces activités, c'est la reconnaissance du fait qu'en Afrique comme dans les autres régions du monde, l'enseignement supérieur est nécessaire au développement du continent et beaucoup plus largement qu'on ne le présente, malgré le jeu de somme nulle qu'on a introduit entre l'éducation de base et l'enseignement supérieur au cours des deux dernières décennies2.

Il est vrai que dans beaucoup de pays, la nature de l'enseignement supérieur et son aptitude à résoudre les innombrables problèmes font l'objet de préoccupations constantes. Cependant, les faux choix que les États ont dû opérer entre l'éducation de base et l'enseignement supérieur sont de plus en plus reconnus comme appauvrissant pour les destinataires de ces deux formes d'enseignement ainsi que pour les populations et les États. En ces temps de mondialisation, caractérisés par ce qu'on a appelé les «sociétés du savoir», le consensus se fait de plus en plus sur l'importance fondamentale de la connaissance en tant qu'élément crucial du développement moderne et de la compétitivité nationale au niveau mondial.

Et les Institutions d'enseignement supérieur (IES) et les universités en particulier sont considérées comme des lieux propices à la production de savoir et dotent les populations de compétences dont elles ont besoin, ce qui suppose que l'accès à l'enseignement supérieur soit étendu à de larges secteurs de la population. Le résultat en est la «massification», situation en général non applicable à la majorité des pays africains où moins de 15 pour cent de la population a accès à l'enseignement secondaire, et où le pourcentage de la population accédant à l'enseignement supérieur est très bas, à peu près 3 pour cent. En fait, dans beaucoup de pays, les politiques mises en place au cours des deux dernières décennies dans le cadre des Programmes d'ajustement structurel, ainsi que la suppression des systèmes de bourses pour les étudiants a eu pour effet de restreindre l'accès à l'enseignement supérieur à des groupes socialement avantagés, malgré l'augmentation des inscriptions.

Une caractéristique notable de l'enseignement supérieur aujourd'hui, c'est que les institutions qui le dispensent deviennent de plus en plus diversifiées, bien que l'État reste le principal acteur dans pratiquement tous les pays africains. Dans la plupart des pays, il existe maintenant plusieurs universités privées à but lucratif ou non lucratif, dont quelques-unes détiennent des franchises d'institutions d'enseignement supérieur étrangères, de petits instituts offrant des Master in Business Administration (MBA) et autres qualifications, et les universités virtuelles. Comme l'ont fait remarquer Kassimir et Sall (2002), le principal postulat de beaucoup d'analystes et de bailleurs de fonds est que sans la libéralisation du secteur de l'enseignement supérieur dans son ensemble, en particulier la partie qui bénéficie encore de l'appui de l'État, l'enseignement supérieur ne sera pas à même de contribuer à la compétitivité nationale ou encore de contribuer au développement de l'économie nationale.

Il est inutile d'insister sur le fait que ces points de vue font partie intégrante de l'agenda néo-libéral, caractérisé par la prééminence de l'idéologie du marché et sa redéfinition du développement, du rôle de l'État, des marchés et du «bien public», qui domine la réflexion sur l'orientation de la politique et de l'action économiques, impliquant la privatisation de services essentiels tels que l'eau et la santé dans beaucoup de pays. L'ironie de la situation, c'est que dans le domaine de l'enseignement supérieur en particulier, les politiques qui sont mises en œuvre influent sur sa capacité à satisfaire la demande croissante actuelle: par exemple l'espoir de voir les médecins diplômés, les informaticiens et autres spécialistes rester au pays et permettre ainsi d'élever le niveau de vie des populations ou augmenter la compétitivité nationale est souvent déçu, du fait des occasions qui sont offertes d'émigrer pour gagner des salaires plus élevés et jouir d'une meilleure qualité de vie dans l'économie mondialisée du savoir.

Ainsi, ni les universités, ni les États n'ont assez de contrôle sur les produits dans lesquels ils ont investi et ne bénéficient pas directement de cette formation, qui est absorbée par un monde globalisé en quête de «travailleurs globaux», ce qui réduit d'avantage la croissance du capital humain national et du savoir national, et par conséquent la capacité à compétir dans le soi-disant marché global. Kassimir et Sall (2002) insistent sur la nécessité d'un réexamen approfondi des nombreuses suppositions considérées comme acquises et jamais remises en question dans le débat sur l'impact de la mondialisation sur l'enseignement supérieur en Afrique et ailleurs, comme par exemple la vision des sociétés qui est sous-entendue dans le lien entre l'enseignement supérieur et la construction d'économies du savoir.

En outre, et c'est très important, ils posent la question de savoir jusqu'à quel point des concepts tels que celui d'«économie du savoir» caractérisent vraiment l'état de l'environnement économique mondial et aussi en quoi ce concept est pertinent dans l'état actuel des politiques économiques africaines et leur capacité à l'adopter, étant donné les sérieuses contraintes liées à l'infrastructure et à l'économie sur l'accès et la connexion aux NTIC (Kassimir et Sall 2002). C'est à partir de quelques-unes de ces questions que nous entreprenons l'étude de la situation de l'enseignement supérieur en Afrique et la situation des universitaires.

L'enseignement supérieur en Afrique

Comme on le sait, les institutions d'enseignement supérieur en Afrique ont été créées un peu avant et juste après l'indépendance. Ces institutions étaient conçues comme des éléments essentiels du projet de construction nationale et étaient promues avec un grand enthousiasme par les nouveaux États. On attendait des universités qu'elles redirigent leur mission pour se mettre au service des nouvelles nations et leurs besoins spécifiques de développement. À peu d'exceptions près, il devait y avoir une université nationale par pays, pour former le personnel et les ressources humaines nécessaires au fonctionnement de la bureaucratie et des services publics.

Dans une large mesure, et sans réexamen critique de leur caractère et de leur orientation, ces institutions ont joué le rôle qui leur était dévolu en formant les cadres nécessaires au fonctionnement de la machine administrative héritée du pouvoir colonial, produisant ainsi ce que Mamdani (2002) appelle «des hommes et des femmes standardisés». Conformément à leur statut d'institutions publiques, le sort des universités et autres institutions d'enseignement supérieur a été étroitement lié à celui des États, ce qui a aussi déterminé le type et le niveau de financement disponible, ainsi que le niveau d'autonomie institutionnelle et de liberté académique.

Cependant, l'écroulement de nombreuses économies nationales à partir du début des années 1970 et la déstabilisation des structures sociales qui en a résulté a débouché sur la crise prolongée de plusieurs institutions, y compris celles de l'enseignement supérieur. Les budgets de l'enseignement supérieur ont stagné et ont connu une chute vertigineuse avec des impacts dévastateurs sur tous les aspects de la vie et du travail universitaires, beaucoup d'institutions n'étant plus que l'ombre d'elles-mêmes. À partir des années 1980, à la suite de l'adoption des Programmes d'ajustement structurel, la situation des institutions a empiré lorsque l'ES a perdu du terrain en faveur de l'éducation de base, sous la direction de la Banque mondiale.

Dans le même temps, les réformes du secteur éducatif entreprises dans le cadre des PAS imposaient des exigences particulières aux IES qui se voyaient maintenant obligées d'accroître les effectifs tout en subissant une réduction du personnel et des subventions, et l'État, en tant que créateur et garant de l'emploi se voyait obligé de réduire les emplois, beaucoup de diplômés ne pouvaient plus trouver d'emploi dans la fonction publique. En fin de compte, ces mesures ont eu un sérieux impact sur la qualité et le moral du personnel et des étudiants. Une chute dramatique des investissements a eu lieu au niveau de l'enseignement supérieur, même si on a assisté à un accroissement du nombre des institutions de 52 en 1960 à près de 300 en 2002, accompagné d'une importante hausse du nombre d'étudiants. Malgré cela, la demande au niveau de l'ES continue de dépasser l'offre, conduisant ainsi à l'apparition de nouveaux fournisseurs de services privés et d'institutions d'enseignement à distance.

On a remarqué que malgré la réduction de l'intérêt porté à l'enseignement supérieur en Afrique au cours des deux décennies, le caractère social et public des IES n'a jamais été remis en cause. Elles n'ont pas perdu leur pertinence par rapport aux sociétés où elles se trouvent malgré les privations et la stagnation à partir des années 1970 et 1980, et ont toujours répondu à l'appel pour servir d'espaces privilégiés pour les débats, les critiques et la mobilisation pour le changement politique (Kassimir et Sall 2002, Sall 2000). En effet, à des degrés divers, partout dans le continent, les IES et en particulier les grandes universités publiques ont activement participé aux luttes contre l'autoritarisme et le déclin de la vie nationale et sociale, et pour l'ouverture de l'espace démocratique. Au cours des années 1970, 1980 et 1990 un grand nombre de campus universitaires, au Nigeria, au Sénégal, au Ghana, dans l'ancien Zaïre et au Mali, parmi beaucoup d'autres, ont été la scène d'affrontements avec l'armée et la police, qui se sont parfois soldés par des morts.

Le calendrier universitaire a, à plusieurs reprises, été interrompu par des grèves dans divers secteurs de la communauté des IES et par la fermeture des établissements par les autorités. Ce qui est intéressant, c'est que la demande sociale pour l'ES n'a jamais baissé au cours de la période qui a connu un accroissement phénoménal des inscriptions d'étudiants et la création de nouvelles institutions publiques et privées, en réponse à la pression des parents et étudiants pour un accès plus large, même sous des régimes autoritaires, et des décisions politiques ont souvent été prises pour des raisons d'opportunisme politique. Rathgeber (2002) cite une récente étude au Kenya selon laquelle les taux de rendement pour l'enseignement primaire, plus particulièrement pour le secondaire sont considérablement plus bas aujourd'hui que dans le passé, et entre 1978 et 1995, les taux de rendement pour l'enseignement secondaire a baissé de plus de 66 pour cent du fait de la cherté de l'enseignement secondaire et aussi parce que les chances de trouver un emploi se sont amenuisées avec la détérioration de l'économie kenyane.

Cependant, ceci ne s'appliquait pas dans le cas de l'éducation tertiaire, où la preuve était faite que les taux de rendement privés pour l'université étaient élevés, ce qui semble avoir été en partie la raison de l'immense pression publique en faveur de l'expansion du système universitaire dans les années 1980. Elle a également fait remarquer qu'en général, les taux de rendement étaient plus élevés pour les femmes que pour les hommes à tous les niveaux. Comme on l'a noté ci-dessus, l'augmentation des effectifs s'est opérée dans le contexte des PAS et des sévères restrictions dans les opportunités d'emploi dans la fonction publique, qui a été le principal employeur des diplômés des universités dont la plupart est au chômage.

Une explication de ce paradoxe apparent a été fournie par Kassimir et Sall (2002.) qui soutiennent que la demande pour et l'accès à l'ES doivent se comprendre comme un «calcul social» dans le cadre duquel les espoirs mis sur l'ES figurent dans la (re)structuration sociale des sociétés africaines et les modèles généraux de stratification et de reproduction sociale, et pour les étudiants comme pour les parents, l'enseignement supérieur devient un des moyens d'accéder à une vie meilleure et plus sûre avec la reconnaissance de leur statut de diplômés, et une certaine vision de l'avenir du pays et de leur place dans cet avenir.

Ils font aussi remarquer qu'au niveau des institutions elles-mêmes, les universités recherchent les ressources qui assurent leur propre développement et leur propre reproduction et, dans certains cas, gardent l'espoir qu'elles ont un rôle plus important à jouer comme institutions publiques, alors qu'une grande partie de la population compte aussi sur elles pour fournir les opportunités et une vision sociale. Kassimir et Sall (2002) attirent l'attention sur ces dynamiques locales et nationales des systèmes africains d'ES qui s'interconnectent mais ne sont pas déterminés par le nouveau contexte global d'une plus grande attention qui est portée à l'enseignement supérieur.

La situation des universitaires

Comme l'a fait remarquer Sall (2000), les milieux universitaires et de recherche dans l'ES africain sont aussi les milieux socio-politiques, économiques et culturels, et les évolutions de chaque milieu affectent l'autre ; dans des pays tels que le Liberia, la Sierra Leone, la Somalie et le Rwanda, la guerre civile a entraîné la destruction de nombreuses infrastructures d'ES, l'abandon des campus et la fuite des étudiants. La communauté universitaire n'est pas homogène et connaît des divisions de genre, classe, idéologie, régionales, ethniques et raciales. Cette communauté comprend de jeunes universitaires, des étudiants, des femmes, des assistants, des maître-assistants, des professeurs, des administratifs et des universitaires membres de minorités ethniques, religieuses et autres.

Parmi ces différents groupes, la lutte pour la liberté d'étudier, d'enseigner, de faire de la recherche, etc. est une lutte menée aussi bien à l'intérieur de la communauté universitaire que contre des forces extérieures. Cette lutte s'est intensifiée à la suite du déclin massif des économies africaines et les réductions budgétaires des IES qui en ont résulté, surtout à la suite de l'introduction des PAS. S'il est vrai que la plupart de ces combats étaient menés dans le cadre de revendications matérielles, telles que les bourses, salaires, aides, et conditions de travail, ils étaient cependant souvent politisés et sortaient des limites de l'université.

Kassimir et Sall (2002) situent la lutte pour les libertés académiques dans un combat plus large pour l'extension des possibilités de débats critiques et rationnels sur les affaires publiques avec la participation de journalistes, musiciens, écrivains, chefs religieux et d'autres membres de l'intelligentsia, combat qui était étroitement lié aux conflits sur le respect des droits de l'homme et l'élargissement de l'espace démocratique. Cependant, comme le font remarquer Ajayi, Goma et Ampah (1996), ce ne furent pas tous les universitaires qui s'identifièrent aux aspirations démocratiques des masses africaines, et quelques-uns ont même aidé leurs gouvernements à martyriser leurs peuples et se sont devenus les avocats du changement non démocratique.

Un aspect important de luttes sur lequel on n'insiste pas souvent dans l'analyse de la situation des universitaires, est la lutte pour l'égalité des genres et les transformations institutionnelles. Un examen de l'environnement et des structures de l'enseignement supérieur montre qu'ils sont extrêmement sensibles à la question du genre, tout comme les États qui les abritent sont très autoritaires et à prédominance masculine. La question du genre structure aussi l'entrée et l'accès des femmes et est présente dans les programmes scolaires et universitaires (Makosana 2001). La sensibilité du processus de l'enseignement suprérieur et ses hypothèses de base à la question du genre conditionnent le comportement de l'encadrement et des étudiants et façonnent l'environnement universitaire général qui est largement hostile aux femmes ainsi que les opportunités qui s'offrent aux étudiantes et étudiants en matière de carrière.

Le genre constitue également un élément déterminant dans les relations sociales au sein de la communauté universitaire; cependant il a souvent été ignoré dans l'évaluation de la situation des universitaires. En Afrique, à peu d'exceptions près, les femmes sont minoritaires comme étudiantes, enseignantes, chercheuses, administratrices et personnel de soutien, ce qui constitue un reflet de la plus grande marginalisation des femmes et des filles à d'autres niveaux et formes d'enseignement et dans d'autres structures étatiques et de prises de décision. Cette situation a un effet sur les cultures institutionnelles qui sont patriarcales comme le montrent les relations enseignants/enseignantes avec les étudiants, les relations entre étudiantes et enseignants et les relations entre étudiants.

Tamale et Oloka-Onyango (2000) font remarquer que l'environnement universitaire est régi par des valeurs et des croyances patriarcales, que les enseignantes et les étudiantes sont en général considérées comme étant moins «compétentes» que leurs collègues hommes, et en outre, doivent travailler deux fois plus pour légitimer leur position et leur autorité. En outre, les femmes intellectuelles sont sujettes au harcèlement sexuel, sont exclues des réseaux d'«anciens élèves» et ne font presque jamais partie de la hiérarchie des doyens, directeurs, chefs de département et administrateurs. Ils rapportent que même dans un pays comme le Soudan qui a traditionnellement joui de libertés académiques assez rares sur le continent, l'avènement du régime d'Omar El Bashir a restreint ces droits et affecté l'expression des droits des femmes à une liberté académique sans harcèlement sexuel, ni intimidation. Il est interdit aux femmes universitaires de voyager sans être accompagnées d'un muhram (un homme, parent proche par les liens du sang) jouant le rôle de gardien (Africa Watch 1991-94).

On a forcé les étudiantes à porter le voile et beaucoup de femmes ont systématiquement été exclues de la fonction publique, et beaucoup de femmes membres des professions libérales ont été mises en détention par le gouvernement (WUS 1988:119). Le cas de Levina Mukasa, étudiante en première année à la Faculté des sciences de l'éducation à l'Université de Dar es Salaam qui s'est suicidée pour mettre fin à l'intolérable harcèlement sexuel dont elle a été victime constituera un réquisitoire permanent contre l'ES africain. Tamale et Oloka-Onyango condamnent les déclarations de Kampala et Dar-es-Salaam sur les libertés académiques qui contiennent des références au «harcèlement» mais ne donnent pas une description explicite du harcèlement basé sur le genre dans son origine et ses manifestations (2000).

Citant Freire, ils attirent l'attention sur le contexte autoritaire dans lequel a lieu la diffusion du savoir en Afrique, et la documentation bien fournie sur les abus sexuels par des professeurs, depuis les avances sexuelles, menaces d'échec aux examens, jusqu'au viol: le résultat en est que beaucoup de femmes considèrent maintenant le harcèlement sexuel comme «normal» (Tamale et Oloka-Onyango 2000). Rathgeber (sous presse) cite un récent rapport de la Banque mondiale sur l'enseignement supérieur dans les pays en développement qui n'aborde la question du genre qu'en cinq paragraphes sous le titre «Problèmes auxquels sont confrontés les femmes et les groupes défavorisés» (Groupe de travail sur l'enseignement supérieur et la société 2000:41).

Elle note que ce traitement n'est pas atypique de la façon de penser de la société en général sur les questions du genre et de l'enseignement supérieur où les femmes sont considérées comme marginalisées ou «défavorisées», et où l'on pense que leurs problèmes peuvent être résolus en s'assurant qu'on leur offre plus de places à l'université. Poussant ces observations plus loin, Mama (2002) fustige le «jeu des nombres» selon lequel un quota est fixé pour permettre à un nombre limité de «femmes» et «autres minorités» ou «autres groupes défavorisés» d'avoir accès aux universités, qui restent des lieux profondément hostiles aux femmes.

Cette attitude permet d'éviter les problèmes plus sérieux de transformations intellectuelle et institutionnelle pour permettre aux institutions africaines d'enseignement supérieur de jouer un rôle crucial dans la multitude de mouvements africains pour la démocratisation et l'égalité des genres en termes politiques et idéologiques. Les outils pour changer ces cultures sexistes et patriarcales existent même à l'intérieur des IES, qui détiennent une base de connaissances immense et bien documentée sur ce sujet ainsi que le note Rathgeber (sous presse): au cours des années 1980 et 1990, des milliers d'études sur les questions de genre ont été menées par des universitaires africains. Mais ces études ont eu peu d'impact sur les cultures et pratiques institutionnelles des universités, pratiques vis-à-vis des étudiantes et sur les attitudes sociales changeantes; en fait, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, les IES africaines n'ont pas ouvert la voie et ont tacitement adopté quelques-unes des conceptions les plus conservatrices sur les rôles et capacités selon le genre.

Beaucoup d'IES africaines sont en retard sur d'autres institutions qui ont pris au sérieux la question du développement organisationnel et ont interrogé leurs cultures et pratiques institutionnelles: pratiques de gestion; relations de pouvoir; ressources et division du travail, et/ou adopté des politiques sur l'égalité des chances (Deem 1996). L'incapacité à prendre le développement organisationnel au sérieux pour aller vers les transformations institutionnelles a intensifié la crise à laquelle sont confrontées la majorité des IES africaines au cours des deux dernières décennies. Ajayi et al. (1996 et références citées) ont documenté d'une manière très détaillée la situation difficile à laquelle les institutions et les universitaires ont été confrontés à partir du milieu des années 1970. En gros, il s'agit principalement des ressources humaines, financières et physiques dont disposent les institutions et leur impact sur l'enseignement et l'apprentissage.

En particulier, à cause de la nature extravertie des IES qui a malheureusement conduit à la dépendance sur les fonds extérieurs pour importer l'essentiel des biens nécessaires au fonctionnement d'une IES, les fonctions académiques d'enseignement et de recherche ont stagné dans plusieurs pays, car il n'y avait pas d'argent pour payer le personnel expatrié, former le personnel local à l'étranger, payer les voyages du personnel à l'étranger lors des conférences, et acheter des manuels. En outre, on notait une stagnation et une détérioration des ressources matérielles avec l'arrêt du développement du capital, et le manque d'une culture de la maintenance, de mauvaises procédures d'approvisionnement qui ont conduit à la ruine des installations existantes. En plus d'une expansion non planifiée, la détérioration et le manque d'installations telles que des salles de cours, des laboratoires, des logements et de bonnes conditions de vie du personnel et des étudiants, des bureaux pour le personnel, de mobilier et fournitures de bureau et la réduction des systèmes de bourses des étudiants, tout ceci a sévèrement limité le renforcement des capacités de l'université.

Alors que l'isolement des universitaires était quelque peu atténué par l'existence de réseaux tels que le CODESRIA, l'OSSREA, l'AERC et l'AAPS, en particulier pour les spécialistes en sciences sociales et l'AAU, pour les Recteurs et Vice-chanceliers, dans l'ensemble, les universitaires étaient abandonnés à eux-mêmes et beaucoup ont trouvé des solutions à leurs frustrations et à leur pauvreté croissante: quelques- uns ont trouvé des emplois secondaires, ont fait des consultations ou ont simplement quitté l'institution. La plus grande menace dont les IES ont dû faire face a peut-être été leur incapacité à attirer et à retenir leur personnel au cours de la période de crise et la baisse du moral et de l'estime de soi qui s'en est suivi, avec pour résultat l'appauvrissement des milieux universitaires avec des effets palpables sur l'enseignement, la recherche et l'administration. Les effets sur l'administration universitaire de la perte de personnel cadre a également réduit les capacités d'innovation et de créativité, et accru la dépendance sur l'extérieure.

Dans plusieurs institutions, les résultats de la recherche et le volume des publications de recherche ont considérablement baissé, ce qui a affecté la qualité de l'enseignement et la confiance des étudiants et des enseignants. Selon Mamdani (2002), citant des sources de l'UNESCO, des 900 titres produits en 2001, seulement 1,5 pour cent étaient publiés en Afrique parmi lesquels 65 pour cent en Afrique du Sud et 25 pour cent en Afrique du Nord, ce qui est un reflet de l'absence de recherche, qui conduit au manque de pertinence de l'institution concernée avec de terribles conséquences sur le processus d'apprentissage; dans les pays de l'OCDE, les gouvernements financent près de 80 pour cent de la recherche. De même, les contributions d'universitaires et d'IES africains aux productions sur Internet sont négligeables à une époque de prolifération des bases de données et de réseau électroniques, et des technologies CD-ROM, amenant ainsi Ajayi et al. (1996) à qualifier les IES africaines de «désert communicationnel et technologique».

Mama (2002) reproche aux universités africaines d'avoir été incapables de tenir leur promesse antérieure bien qu'ayant bénéficié de l'apport des grandes potentialités qu'elles ont formées. La plupart des talents produits dans leurs facultés sont partis rejoindre les institutions du monde développé, plus affluentes et plus riches en ressources. Elle cite le chiffre de 100 000 universitaires africains dans les institutions du Nord, alors que le même nombre d'experts expatriés sont «importés» pour conseiller les gouvernements africains chaque année au coût annuel de 4 milliards de dollars en devises, et se demande quelle contribution cette somme énorme, si elle avait été plus judicieusement dépensée, pourrait apporter pour retenir ou faire revenir ces talents dont l'Afrique a désespérément besoin, et dont certains auraient pu donner des conseils beaucoup plus pertinents que ces experts expatriés.

Cependant, ces décisions n'ont pas seulement été prises par les autorités de l'ES, mais par des États qui suivent et appliquent les recommandations des puissants bailleurs de fonds, entraînant la stagnation et la relégation des IES. D'autre part, les autorités de l'ES ne sauraient être absoutes de toute responsabilité dans l'état actuel des choses. Ajayi et al. (1996) critiquent les universités pour leur manque d'engagement, l'absence d'informations suffisantes à la disposition du public afin qu'il soutienne l'ES et le présente comme une nécessité absolue dans le développement national et le progrès auquel il faut accorder la priorité.

L'IES et les perspectives du développement africain

Il y a actuellement des tentatives de réforme dans plusieurs IES pour réparer certaines erreurs commises ces deux dernières décennies et remettre les institutions en état de fonctionner. Cependant, comme l'ont noté Singh (2001) et d'autres, la plupart de ces réformes se fondent sur des principes étroit de rentabilité économique et n'intègrent pas suffisamment les objectifs sociaux plus larges de l'enseignement public. De même, Sawyerr (2002) attire l'attention sur le caractère des réformes et leur orientation et leurs capacités à faire face aux problèmes pressants auxquels sont confrontées les populations africaines. Comme il le fait remarquer, l'enseignement supérieur a un rôle crucial à jouer dans la croissance économique nationale et le développement, en apportant des améliorations dans la justice sociale par un accès équitable, la recherche du savoir plus tôt que des objectifs économiques, la diffusion d'une large gamme de connaissances et de compétences à toute la population et la formation de citoyens démocratiquement informés et à l'esprit critique développé, tout en réaffirmant l'importance de l'enseignement général.

Il faut donc construire un consensus autour du développement national et continental et des objectifs propres de l'ES et aussi pour que le financement de l'ES par le gouvernement soit prélevé de son budget principal. D'autre part, Sawyerr (2002) fait remarquer qu'on ne sait pas exactement jusqu'à quel point ces réformes s'intègrent dans une vision nationale commune des objectifs sociaux et de la place de l'éducation et de l'ES dans le processus de transformation nationale. Dans une large mesure, les réformes sont la plupart du temps orientées par les bailleurs de fonds et ne reflètent pas nécessairement un engagement déterminé de la part des gouvernements nationaux de reconstruire leurs systèmes d'enseignement supérieur. Le manque d'intérêt relatif du NEPAD pour l'enseignement supérieur souligne ce manque d'engagement et l'incapacité constante des dirigeants et des États africains à définir leurs priorités et accorder l'attention et les ressources nécessaires à l'enseignement supérieur.

Le rôle des universitaires et des IES dans la mobilisation de l'engagement en faveur de l'enseignement supérieur et l'amélioration subséquente des conditions dans lesquelles ils enseignent, font de la recherche et servent les communautés dans lesquelles ils sont, par leurs propres efforts vers les transformations institutionnelles, ce rôle donc, est essentiel pour la revendication de ce que Tade Akin Aina (2002) a appelé «des communautés intellectuelles continentales et des communautés de pratique et de professionnalisme», et réduire «la tension entre le renforcement de la créativité et le savoir et la pensée alternatifs oppositionnels». La capacité à conduire des transformations institutionnelles dépend de l'existence d'une certaine liberté académique, qui sera elle-même renforcée et garantie par la capacité des universités et autres IES à établir des liens avec des communautés plus larges au-delà du monde universitaire et à s'identifier avec leurs besoins et leurs aspirations.

 

* Auteur

 

Notes

1. Je fais ici particulièrement référence aux commentaires exprimés par les participants à la suite de la présentation par William Saint, Conseiller principal pour l'enseignement supérieur à la Banque mondiale, dans une publication de New York Bank sur l'Enseignement supérieur, à une réunion des Rencontres de partenariat sur l'enseignement supérieur organisée par les fondation Ford, Rockfeller, MacArthur et Carnegie à Accra, au Ghana, le 22 septembre 2002.

2. À la suite de la conférence des Recteurs financée par la Banque mondiale (Harare 1986), selon laquelle les pays africains n'ont pas besoin d'universités et qu'ils doivent fermer les universités, faire former du personnel à l'étranger ou le faire venir de l'étranger, et se concentrer sur l'éducation de base. Dans ce scénario, l'enseignement primaire était opposé à l'ES, qui n'était pas considéré comme étant utile.

 

Références

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Source: Bulletin du CODESRIA, 2002, nos. 3 & 4, p. 44- 51.